7. NOUVELLE... Aux larmes citoyens !

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Aux larmes citoyens

 

         Ce matin-là…
Quand un récit commence par ce matin-là, il s’agit toujours du matin fatal ou s’entrechoquent les coïncidences… mais ce matin-là… il ne se passa rien… rien du tout… ce qui tend à prouver que cette histoire est déjà extraordinaire…
Et le hitchcoquin-pavlov-polardier vous fait déjà saliver !

         Ce matin-là…
Il faisait trop beau. La poisse. P
as un aérogramme de brouillard au pont de Tolbiac… Allez donc assassiner quelqu’un par un temps pareil ! ?  
Vraiment plus possible.

         VIDEO fixait le nègre avec dégoût. Encore une journée de fichue, et qui commençait comme ça, avec un nègre qui s’esclaffait sur une boîte de Banania parce que le soleil était venu caresser sa belle gueule de cacao lisse. VIDEO détestait le cacao, alors par beau temps, pensez donc !

         La table trembla contre le genou de LUCIENNE, qui renversa un peu de lait. Une goutte rigola doucement vers la boîte…
« C’est LUCIENNE qu’aime bien le cacao. Tiens, y’a une mouche bleue sur sa petite cuillère. »

         Soleil du matin chagrin… Gilbert GRANDCREUX (dit VIDEO) inonda ses idées noires avec un second calva, fixa la mouche dans les yeux, l’hypnotisa, la trempa dans du lait, l’enterra dans la mie de pain. Il lui fallait un crime par jour et il n’était pas question de perdre la main…
Il décida d’aller se recoucher jusqu’au prochain brouillard…

*  

         Le matin suivant…
Brouillard du matin, pas de chagrin.
Lucienne replaça un bigoudi fugueur sous la capuche de plastique gris-blanc, replaça sa poitrine, soupesa, miaula d’aise, sourit dans la glace, se combina en beau nylon parme puis s’enroba dans sa belle, sa plus belle robe imprimée et tout ; grosses roses toutes variétés confondues et petits surpiqués de feuilles vertes qu’on dirait des vraies, s’aperçut sous le porche qu’elle avait gardé ses mules à pompons « Oh LUCIENNE, que t’es sotte ! », les garda pourtant et sortit dans la rue de la Crampe.

Une tache grise : PARIS-STRASBOURG.
                            Une tache bleue : l’O.P. MARCEL.

         Elle ne vit personne, tout entière au petit plat qu’elle s’en allait quérir pour son GEGE. GEGE, c’était Gilbert GRANDCREUX ? dit VIDEO. Vide = Creux, Haut = Grand. Quels gamins ces hommes ! enfin…

         Fallait lui rendre justice, VIDEO n’avait pas choisi la voie facile. ancien ajusteur, nouveau chômeur, dégoûté par les infos, encouragé par la littérature journalistique inconsciente, atterré par l’incompréhensible meurtre de BOBY, son ratier pur style La voix de son Maître, il s’était mis à tuer. Avec sagesse, sans prétention, pour pas cher, pour des petits commerçants, des petits héritiers, des petits procès. Le nombre croissant des petites rancœurs (après étude de marché) lui avait fourni un bon potentiel commercial, une bonne petite clientèle, discrète, peu voyante.

         Le standing, l’apparence plus qu’ordinaire du couple, l’absence de mobiles cohérents ou suffisants avaient quelque peu égaré la police. Ils accumulaient donc un petit pécule, loin des boursicotages hypothétiques et des gabelous du pouvoir. Ils allaient bientôt se tirer et se retirer, en Champagne peut-être… il serait Président de La Boule Mérycienne, il irait à la pêche avec l’instituteur.
Ah ! mais il y avait des frais ! Tout de même !!

         VIDEO exécutait toujours ses œuvres au travers de la poche de son veston, il consommait donc allègrement de la fringue. Enfin… tant pire…

*

 

         PARIS-STRASBOURG dévalait la rue de la Crampe, rasant le trottoir, roide, droite, comme sur un rail, s’arrêtant avec une précision omégatique et chemindeferrique à chaque poubelle où elle pêchait petit à petit de quoi emplir la remorque qu’elle tirait d’un bras sec. Œil bleu, tête de fourmi blanche, chignon crottin, silencieuse, noire… encore plus qu’à l’habitude… perplexe même…

         Une idée impromptue venait de faire irruption dans les cumulos-nimbus de son cerveau spongieux et imbibé : c’était toujours devant le 23 bis qu’elle trouvait des vestes presque neuves avec un trou dans la poche. Toujours un trou dans la poche droite ! ? ! ?

*

 

         Ses lèvres remuaient. Il parlait seul, soliloquait : « J’m’en fous, qu’il disait l’O.P. MARCEL (Officier de Police Marcel Prost), j’m’en fous, les gens y croient que je chante. »

         Pour occuper ses longues heures de planque, il créait des scénarii qu’il se jouait à voix basse (avec les intonations tout de même). Mais là, il déchantait. Il avait failli se faire dessouder une petite poignée d’heure auparavent. Et là, c’était pas du cinéma.

         Le commissaire divisionnaire avait fait sonner sa belle voix de baryton (comme à la chorale) et il n’était même plus question de prendre le temps de faire des ratonnades : « MARCEL, surveillance rapprochée de tous les petits commerçants, courtiers, notaires, huissiers et magouilleurs du même tabac qui vivent encore dans le quartier. C’est pas difficile, ils sont de moins en moins nombreux. Et un quartier sans commerce est un quartier qui meurt ! » Comme de juste.
 « OK Chef lança MARCEL comme un seul homme, toujours prêt à se dévouer pour la veuve et un peu moins pour l’orphelin.

 

         Ce matin-là…
embrumé, frileux, MARCEL entendit tourner la clé de l’appartement privé de Fulbert DURAND, Notaire, se planqua sous l’escalier, près des poussettes avant d’entreprendre une filature efficace, discrète jusqu’à l’étude.

         Sous une arcade très sombre, l’O.P. MARCEL s’avisa soudain de passer devant la victime possible. Il faisait très sombre et on ne sait jamais, s’il ne se passe rien on dira au notaire qu’on l’a précédé pour le protéger, ça peut servir dans la vie.

         Il faisait vraiment trop sombre. MARCEL ralentit instinctivement… STOP. MERDE. Un type immense était là dans l’ombre, immobile, les deux mains dans les poches… et l’instinct de MARCEL, c’est quelque chose, c’est du pur. Il savait, MARCEL… il savait déjà, il l’avait déjà fait ce scénario… Il était en présence du tueur… du vrai… du type qui vivait de ses crimes… du type qui le faisait vivre aussi… du type qui allait faire surgir la mort, brutale, réelle, inexorable, la mort qui occupe vos dimanches à la télé, la mort qui vous dit que vous êtes vivant. LA MORT.

         Pensées folles, rapides, en même temps que ses yeux enregistrent un petit mouvement vers la poche droite du tueur.

         Le notaire est là, derrière lui, il est là.

L’O.P. MARCEL l’empoigne par une aile avec une violence décuplée par la peur et le projette en direction de l’ombre immense… Dans le fond, le notaire était la victime présumée, tout comme l’autre était l’assassin présumé. L’ORDRE, je vous dis, l’ordre des choses !

         Il n’eut que le temps de voir l’ombre immense s’avancer, la poche droite se gonfler et le coup de feu claqua, énorme, terrorisant, résonnant sous la voûte.

         La cervelle du notaire explosa !!!  Et même, si la cervelle de ce bouc émissaire n’était pas une cervelle d’agneau, il n’était pas du meilleur goût de s’en trouver éclaboussé sur le blair et sur le blazer.

         L’assassin enfourcha une Mobylette dissimulée derrière un pilier et disparut dans la grisaille.

         L’O.P. MARCEL, pantois, médusé, abasourdi par la détonation reçut le notaire dans les bras  et, les deux mains sous les aisselles du cadavre, amorça une adaptation singulière de Copélia pour finir par s’affaler de tout son long sous le poids du défunt.

         Il se releva bien vite, contempla sa veste couverte de débris humains, les jambes en coton, et entreprit de s’essuyer le visage avec un mouchoir du même métal.

         Les immeubles avoisinants crachèrent quelques badauds, qui, n’ayant pas encore petit-déjeuné, ne s’approchèrent pas trop. L’O.P. MARCEL fit appeler sa brigade, ses journalistes préférés, parla, parla… et se vit déjà dans le journal du lendemain.

         Bah. « Chaque jour qui se lève est une leçon de courage » (Jean-Edhern Hallier). Maintenant, direction la maison, Objectif : Germaine. C’est pas le tout d’être un héros, il y a l’intendance… et Germaine. « MARCEL, ta veste, c’est plus possible, MARCEL, tu ne te rends plus compte de la vie que tu me fais mener. Mal payé et sale maintenant. Ça fait dix ans que tu dois réclamer une prime d’imper, une indemnité de chaussures, et aujourd’hui il faudrait même que je nettoie tes saletés. Non, c’est plus possible, MARCEL. » Germaine était une sensible, hein !

         L’O.P. vida ses poches, emplit son pantalon, et jeta son blazer et les pensées notariales dans une poubelle.

Il était dans le haut de la rue de la Crampe.
Il ne vit pas LUCIENNE qui montait.
Son œil se posa sans rien enregistrer non plus sur PARIS-SRASBOURG qui extirpait un vêtement des immondices de la poubelle du 23bis. Il avait froid, il marchait vite, la rue descendait jusqu’à l’impasse de la Tronche. A l’angle prospérait le « TROC ET PUCES GEORGETTE ».

*

 

         Au troisième étage du 23bis, VIDEO souriait : «  Cinq mille balles de plus pour la petite baraque ; un petit gueuleton et la sieste ; la vie est bonne ces temps-ci. Tiens, un petit calva à la santé des ASSEDIC. »

*

 

         LUCIENNE entra finalement chez le tripier et commanda deux cervelles.

*

 

         PARIS-STRASBOURG, ancienne stoppeuse, imagina comment réparer le trou d’une poche droite avec finesse et partit pour monnayer son butin au TROC ET PUCES.

*

 

         L’O.P. MARCEL entra chez GEORGETTE.
Une amie d’enfance. Classe 47. Une bonne année. Elle aussi avait réussi. Elle achetait par cher à des pauvres et revendait très cher à des très riches qui rêvaient d’avoir l’air un peu pauvre. Fringues, frusques, quincailles, clinquants, froufrous, flous, dentelles jaunâtres, tous sexes confondus.

         Bises.

« Bonjour MARCEL. »
« Salut GEORGETTE, j’te raconte pas…  Il me faut une veste... »
« Bien sûr mon grand, c’est gentil d’avoir pensé à moi… »
« J’passais par là… J’te raconterai, je reviendrai… Il me faut une veste... » « Pour Germaine ? »
« Non… Pour moi… Tu peux pas comprendre…Une beige comme l’autre. »
« Tiens, toute la rangée, là. Il y en a des super tu sais… »

         Marcel caressa les cols, les revers, les soufflets, tweed, drap, serge, bourrette, skaï, peau…

« Dis, GEORGETTE, elle me va celle-là. Oui ? »
« Oui. »
« Mais la poche droite, elle est pas un peu… »
« Reprisée ?... Non. »
« Un peu grande… tu me fais un prix ? »   

         Il se retourne…
PARIS-STRASBOURG entre, une veste au travers de son bras maigre.

« Mame GEORGETTE, si j’vous la raccommode, vous la prenez combien ? »

La gaffe ! GEORGETTE rougit…

L’O.P. MARCEL regarde fixement, n’en finit plus de regarder et de sa voix blanche… « Elle a aussi un trou dans la poche droite. »

Et la rage !!! Il attrape toute la rangée de vestes, bouscule, étale, retourne, scrute, éructe, gémit… « Douze, il y en a douze… avec un trou… à droite… d’où viennent-elles ? Répondez vite, espèce de vieille cloche ! » « Au 23bis de cette rue… »

         Il est l’homme, le détective… il a trouvé… il est grand soudain… « GEORGETTE, garde-moi tout ça… dans dix minutes, appelle le patron… merci. » Il arrache la veste des mains raides de la vieille, l’enfile, se précipite, remonte la rue de la Crampe.

         Le coton revient dans ses mollets. Un scénario remonte à sa mémoire… GERMAINE lui revient elle aussi, l’assaille. « Il serait temps que tu sois quelqu’un. Je t’ai épousé car tu disais toujours que tu serais commissaire… » Les forces reviennent… le courage… le héros… le journal… Il arme son spécial, le serre très fort dans son poing… dans sa poche droite…

         Le porche du 23bis… Une femme en robe rouge descend la rue, doucement, loin… L’escalier, premier, rien… second, rien… le coton afflue dans ses mollets… encore… et GERMAINE revient, et le patron, et la Une de Transe-Soir.

         Il sonne… frottement de charentaises… la porte s’ouvre… VIDEO est là devant lui, maigre. L’O.P. MARCEL sait qu’il est devant l’assassin… et GRANDCREUX sait qu’il est devant un flic… Le canon du spécial passe un peu par le trou de la poche droite de la veste… qu’il reconnaît.

         VIDEO ne bouge pas… rien ne bouge… il recule… doucement… prend un haricot vert sur le tas, sur la table… le casse… Dans ce silence assourdissant le petit bruit sec paraît démesuré… provocant… presque une détonation dans le crâne de MARCEL. Les yeux ne se quittent plus…

         LUCIENNE, à l’instant arrive, passe le porche… monte l’escalier en soufflant. Elle est sur le palier. l’O.P. MARCEL se retourne vite, VITTTE ! comme au cinéma ! et tire, TIIIRE ! … un peu trop vite…

         LUCIENNE, sa petite copine d’école, LUCIENNE, son amour jamais retrouvé because les déménagements, LUCIENNE, la p’tite Lulu s’effondre, s’écrase, s’affale sur le dos…

         Sur son cœur, les roses sont encore plus rouges.

         Une escouade flicaresque accourt.

*

         Transe-Soir titrait le lendemain :

QUELS LIENS POUVAIENT UNIR CE TRIO DE L’ETRANGE ?
A l’arrivée de la police, Gilbert GRANDCREUX cassait des haricots verts, sans fils… tandis que l’Officier de Police Marcel PROST sanglotait sur le corps de la femme Lucienne PICHON, dont la main serrait encore un mystérieux paquet contenant deux cervelles de mouton.

*

Le surlendemain matin…

Le soleil était de retour, et, de très bonne heure PARIS-STRASBOURG trouva cette fois encore, une veste un peu tachée, sans trou à la poche droite, dans le haut de la rue de la Crampe

FIN

Rédigé par William Radet

Publié dans #NOUVELLES

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