7. NOUVELLES... Insecte - Brûlures - etc (3)
Nouvelles extraites de mon roman "Un flou dangereux" paru en 1996
et dans sa version nouvelle "Juste avant le désert" téléchargeable
Insecte
Il a dormi longtemps.
Il a repeint sa chambre en noir. Il a mis aussi un rideau sombre devant les étagères. La couverture est grise. Tout va bien. Il ne s’est même pas glissé dans les draps. Son corps se reflète dans le plafond de laque trop brillant. Un vrai miroir. Il est nu.
Alors apparaît sur sa jambe - ou plutôt sur son image au plafond - un insecte. Il est assez gros, il ne sait pas trop ce que c’est. Une sorte de scarabée brun, immobile, arrivé en douceur. L’homme pense à lui, solide, solitaire, silencieux... Il ne bouge pas. Il attend (quoique ce terme puisse être assez improbable pour lui). Il démarre soudain, avance crânement sur une trajectoire totalement rectiligne. Rien ne le freine, puisque les collines, trous et bosses ne sont que les reflets d’une anatomie... Plus les reliefs s’accentuent, plus sa course semble maîtrisée. Ses membres le propulsent avec une précision fantastique, comme si son but était programmé. Il court sur le sexe, le ventre, le nombril, le torse, toujours tout droit. L’impression est curieuse pour l’homme qui l’observe, immobile, sur le dos, un genou plié, la bouche ouverte. Stop !
L’insecte mécanique s’est arrêté, exactement sur le reflet de la langue, comme s’il voulait entrer, comme s’il avait découvert une faille. Son goût dans la bouche ! Un goût de pierre, de bois pourri, de mort. L’homme se lève d’un bond, saisit une pantoufle au pied du lit et lui assène un coup plutôt violent. Vers ses pattes arrière sa carrosserie brune s’est fendue, laissant échapper une sorte d’humeur jaunâtre. Il reste collé au plafond. Est-il mort ?
L’homme reste longtemps encore dans l’attente, dans le désir de chute. L’insecte ne bouge pas d’un iota, comme consterné, comme s’il procédait à des réflexions ou des calculs de probabilité sur un autre cataclysme. Dix, quinze minutes...
… et repart soudain, toujours en ligne droite, mais plus lentement, le corps en biais, laissant au passage une traînée visqueuse. L’homme ne sent pas la souffrance de cette petite masse sombre, solide, inatteignable. Exaspéré, il bondit sur mon lit, fait chuter le monstre dans une feuille de journal, le précipite dans les toilettes et tire la chasse d’eau. Mais la bête est légère... et la voici qui flotte encore, puisque les remous n’ont pas su l’emporter. L’insecte nage maintenant vers les bords de la cuvette.
C’en est trop, beaucoup trop ! L’homme asperge le naufragé increvable du flux acide d’un détergent bleu indigo. On ne saurait dire si l’animal est surpris, mais il exhale maintenant quelques bulles. L’homme songe à sa morve, à sa violence démesurée, à la mort d’un inconnu discret qui passait… simplement.
L’homme s’est senti plus faible que lui. Il a pensé longtemps à cette bestiole ; elle représentait le signe supplémentaire, la confirmation qu’il était grand temps qu’il s’endurcisse, qu’il apprenne à « tomber de haut » lui aussi.
Brûlures
La tache jaune des boîtes de cacao m’attire par la porte entrouverte.
Il est là, devant la grosse cuisinière de fonte verte... comme la première fois... le tisonnier à la main. Toujours son cigare. Il n’a pas de lunettes, ce n’est plus la peine.
Ses yeux gris-vert donnent droit devant, loin devant. Il ne voit plus, il devine. Je sais qu’il sait que je suis là, que j’entre, silencieux, comme un chat. Il doit sentir mon ombre, ma forme grise qui s’approche. Pour seul mouvement, cette main blanche qui fait glisser doucement la cendre le long des rainures de fonte. Il ne voit plus rougir le bois mais il goûte la chaleur qui s’enfuit, découverte. Je reste longtemps immobile.
Un instant, sa voix douce me vient en tête, cette voix qui comptait, qui contait, qui faisait jaillir le rire des filles, qui mouillait les yeux des femmes,qui désarmait les vaniteux... sa voix pleine de livres, pleine de vie sourde, sa voix qui s’est éteinte progressivement, inexorablement, un instant remplacée par une écriture qu’il avait trouvée assez vaine, elle aussi, pour la laisser mourir au même rythme que son regard.
Ses lèvres se détachent, il va parler... non ! Ce silence est sans éloquence. Ce silence morne et muet ne me dit rien qui vaille. Un petit quelque chose, peut-être un de ces signes d’amitié, d’amour, de complicité, dont je ne veux plus, me manque soudainement, me rend nerveux. Mais je suis sec, je suis dur, je suis solide ! je suis venu, mais je ne suis pas faible. J’ai simplement voulu le voir avant de partir, le voir seulement.
Maintenant, je suis sûr qu’il se moque de moi comme le rire noir sur les boîtes de cacao. Je glisse vers lui. Impassible. Rien ne le trahit. Je le connais depuis ce jour lointain ou l’on m’avait dit « Va le voir, il sait, lui, pour le bonheur »... Il n’en jouit désormais pas plus qu’un automate. Une question ridicule traverse sans me prévenir « Qu’est-ce-qu’il mange ? »
Je suis tout près, un peu sur le côté. Son bras s’immobilise. Un sourire extraordinaire s’éveille doucement vers moi et sa voix renaît de son ventre, grave, chaude, ironique :
— Tu es trop sérieux..
J’entends, mais je ne veux pas comprendre.
Je m’approche encore. Il reste immobile, la tête un peu penchée comme le font les oiseaux attentifs et curieux. Il a posé délicatement le tisonnier, comme on repose un scalpel, une dague. Ses bras pendent, flasques, désarmés. Il est debout. Je suis debout, à portée de souffle, à portée de mains... de mes mains qui jaillissent soudain, saisissent avec violence sa tête et viennent l’écraser sur la cuisinière brûlante. La chair grésille. Il ne se défend pas. J’appuie très fort. Sa bouche s’écrase, son nez, ses paupières, ses joues s’écrasent. Pas un cri. Tout son visage fond contre la plaque rougeoyante. Je presse toujours plus fort. Je pense à ses rétines vertes, à ses petites mains potelées, à l’odeur que je ne sens pas. Je n’ose pas regarder les boîtes de cacao. Et si elles avaient toujours le sourire !?
Je ferme les yeux pour quitter le décor.
J’ai comme des fractales derrières les paupières.
Je relâche la pression. Je quitte la pièce.
Le devant de ma veste est tout chaud.
Je laisse la porte ouverte.
Des pas et des mots qui descendent résonnent dans le grand escalier. Une voix pointue... « Ça sent le cochon grillé ! tu trouves pas Gilberte ? »
Je vais courir, je le sais, mais je me retiens le plus possible. Je cours tout de même, longtemps, longtemps, jusqu’à l’épuisement.
La ville dort. Il fait gris. Tout va bien.
Lundi doux
Une poignée d’herbe atterrit sur ma joue. Rires.
Je ne bouge pas. Une autre. Un autre rire... des rires mélangés.
Des poignées d’herbes qui pleuvent, recouvrent tout mon visage.
Merci les filles ! Je reste immobile. Toutes ces odeurs mêlées... les femmes, les plantes coupées, cuites à feux doux par un charmant soleil, la terre d’automne.
Elles rient toujours, les filles, comme des gamines et l’herbe pleut sur tout mon corps. Je suis enseveli, mort trop vivant sous un catafalque miraculeux où je suis un instant en contact, puis en osmose avec quelque chose de naturel et d’indéfinissable. Je suis au chaud comme on doit l’être dans un ventre, protégé, invisible.
Les rires cessent. Des petits pas s’éloignent, laissant seule à mes côtés une respiration si douce qu’elle n’altère pas la qualité du silence. Saisissant !
Je sais que nous sommes seuls, je ne sais pas avec qui, je sais qu’il va se passer quelque chose.
Une main s’est posée sur l’herbe, à la hauteur de mon sexe, a retiré l’herbe sur mon sexe qui enfle doucement, qui vit sans moi. Zip !!! La main sort ma queue à l’air libre. Des lèvres l’effleurent, une bouche l’absorbe. Elle doit être immense puisque je me sens disparaître complètement. Je serais bien incapable de bouger, prisonnier heureux de cette bouche brûlante qui me masse, me mange, me vide... et puis la bouche est partie, doucement... et puis la fille est partie, calmement... à petits pas feutrés sur le pré, me laissant à la fois dans un état magique et pantelant, avec l’intense bonheur de certaines fatigues, les bras le long du corps, les yeux toujours clos sous un voile d’herbe tiède, avec l’envie de rester inanimé, avec le désir que rien ne gâche, que rien ne bouge, que rien ne soit, que tout recommence...
Lundi doux
Une poignée d’herbe atterrit sur ma joue. Rires.
Je ne bouge pas. Une autre. Un autre rire... des rires mélangés.
Des poignées d’herbes qui pleuvent, recouvrent tout mon visage.
Merci les filles ! Je reste immobile. Toutes ces odeurs mêlées... les femmes, les plantes coupées, cuites à feux doux par un charmant soleil, la terre d’automne.
Elles rient toujours, les filles, comme des gamines et l’herbe pleut sur tout mon corps. Je suis enseveli, mort trop vivant sous un catafalque miraculeux où je suis un instant en contact, puis en osmose avec quelque chose de naturel et d’indéfinissable. Je suis au chaud comme on doit l’être dans un ventre, protégé, invisible.
Les rires cessent. Des petits pas s’éloignent, laissant seule à mes côtés une respiration si douce qu’elle n’altère pas la qualité du silence. Saisissant !
Je sais que nous sommes seuls, je ne sais pas avec qui, je sais qu’il va se passer quelque chose.
Une main s’est posée sur l’herbe, à la hauteur de mon sexe, a retiré l’herbe sur mon sexe qui enfle doucement, qui vit sans moi. Zip !!! La main sort ma queue à l’air libre. Des lèvres l’effleurent, une bouche l’absorbe. Elle doit être immense puisque je me sens disparaître complètement. Je serais bien incapable de bouger, prisonnier heureux de cette bouche brûlante qui me masse, me mange, me vide... et puis la bouche est partie, doucement... et puis la fille est partie, calmement... à petits pas feutrés sur le pré, me laissant à la fois dans un état magique et pantelant, avec l’intense bonheur de certaines fatigues, les bras le long du corps, les yeux toujours clos sous un voile d’herbe tiède, avec l’envie de rester inanimé, avec le désir que rien ne gâche, que rien ne bouge, que rien ne soit, que tout recommence...