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Aux larmes citoyens

Ma nouvelle policière fut classée parmi les dix lauréats du concours Série Noire
et publiée dans un recueil de la Série Noire - Editions Gallimard 1984

Concours organisé par TF1, Amster Production et Gallimard

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Version illustrée (non éditée) par Gabriel Rebufello

7.  NOUVELLE... Aux larmes citoyens en BD
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Si vous aimez la lecture traditionnelle

Aux larmes citoyens

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Rédigé par William Radet

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Coupure !

  

Il la coupa une fois de plus... le sang allait couler...

Il ne lui coupait pourtant que la parole !

Il s’étonnait toujours de cette extrême violence dans son regard, lorsque son sang ne faisait qu’un tour, rapide, rapide comme la montée de sa fureur.

Elle ne supportait plus qu’il tranche, qu’il sabre ses propos, sans plus se soucier des blessures qu’il provoquait.

Lui, pourtant aurait tellement aimé l’entendre plus. Il aimait tellement la vigueur de ses idées, ses indignations, ses enthousiasmes... la finesse de ses indécisions... mais il ne paraissait pas l’écouter.

Il parlait souvent, il parlait beaucoup. Elle restait là, sans presque rien dire. Il avait supposé qu’il s’agissait d’une personne réservée, pudique aussi, qui buvait la vie par les oreilles, gardant pour elle des secrets vraiment secrets. Il sentait qu’ils dialoguaient pourtant beaucoup au travers ses monologues. Il parlait plus qu’il ne le souhaitait, par crainte de rompre le fil...

Aujourd’hui, il n’aimait sa voix que dans la solitude... Ailleurs, elle lui devenait étrangère, organisée, polie par les compromis.

Sa  voix profonde serait l’écriture... mais l’écriture est une voix trop commune lorsqu’elle n’est que style... Il attendrait qu’elle soit un cri, un flot irrésistible, la lave d’un paroxysme!!!

En attendant, il fallait, pour lui plaire, apprendre à se taire. Il se mit à parler, souvent, seul, dans les rues. Il eut bien de la peine à reconnaître les sons audibles de cette nouvelle voix, qui ne parlait qu’à lui. Elle était grave, rauque, sourde, lourde.

Des mots bien trop lourds touchèrent un jour le sol.

Des mots bien trop acides qui touchent, qui tachent. Leur encre bleue nuit. Tous les trottoirs de la ville portaient l’empreinte de mots simples, mais terribles, qui faisaient baisser les yeux des plus rompus. Certains s’essayèrent à les effacer, à frotter très fort... indélébile... à casser le bitume... à jeter les pavés.

Elle se mit à parcourir toutes les voies et les avenues, jubilant, enthousiaste devant ces phrases qui auraient pourtant bien du lui rappeler quelque chose...

Elle rentrait, heureuse, très. Elle lui racontait la rue, toute lue, toute nue, toute crue...

Il souriait, elle riait, elle parlait, parlait... vibrait, vivait...

Et lui pensa soudain qu’il n’arriverait jamais à mourir, bon sang !

Il éclata de rire en silence et faillit se couper la langue. 

 

Nouvelle parue parmi mes textes dans "Traces"
livre d'art publié avec le photographe Bruno Mazodier
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Rédigé par William Radet

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Métro c'est trop

 

J’ai besoin d’être serré. Je prends le métro

J’aime toutes ces sensations qui s’accrochent dans mes nuages et qui dévorent mon espace, de toutes ces odeurs... ce musc de fin de semaine qui semble jaillir du sol bougeant, les seins bougeant, les cuisses bougeantes, des culs qui hurlent à la vie, des gants qui voudraient les faire taire... une main moite qui glisse comme une limace vers une main sèche, baguée, le long d’une barre nickelée... un escalier métallique, des voyageurs mécaniques, des myopes qui montent, des aveugles qui descendent...avec des yeux comme des étangs, à l’heure où les nénuphars roupillent, une fleur jaune entre les dents, morte entre les dents... morte entre les gens...morte!

 

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Tournevis

  

Elle était debout, immobile... muette, face à la grande glace.

Une lumière sourde, glissant derrière son bras, éclairait son sein gauche qui luisait. L’autre restait dans l’ombre, sans reflet, secret.
Une lumière dorée, chaude... une ombre profonde, sourde...

Elle... blanche... livide... fixe devant le miroir.

Au fond de la chambre-boîte, un dos rond dans un grand manteau, voûté, courbé d’immenses lassitudes, cachait des mains... petites, jaunes et douces qui fouillaient...

Elle ne l’entendait pas. Il avait un don certain pour certains silences.                   Elle ne le voyait pas. Elle ne voulait plus le voir. Il ne savait plus comment... comment quoi...

Il cherchait dans un tiroir ce qu’il faudrait pour la débloquer...            
Un tournevis... voilà... s’en servir avec douceur, fermeté... comme d’un scalpel.

Il pensa ”fente-lame”...s’approcha plus près et pensa “fendre l’âme”.                  Le jeu des mots sert à calmer le jeu des maux.

Le monde entier l’observait... au cas, assez probable, où il raterait “l’opération”... au cas, peu probable où il abandonnerait, défait.

Il l’effleura... elle était si près... mais si loin, partie, neutre, vide pour lui.                Et lui, seul, gonflé de certitudes et de doutes gigantesques…                          C’était la première fois qu’elle partait de lui...

Pas d’affolement... pas de mouvements inutiles !

Le tournevis... idéal pour une ouverture en douceur... après...
affaire de doigté... de manipulation... de compréhension...

Silhouette merveilleuse en clair-obscur... Jamais il ne l’avait sentie aussi nue... une pièce rapportée dans la chambre-cloaque... pièce magique... attirante... et perdue... éperdu qu’il était d’amour et d’angoisse.

Il ne bougeait plus. Pour se calmer, pour se retrouver.

Une telle opération nécessite de la concentration, de la tension, de l’attention...
Attention ! pas de faux geste !
L’accès aux domaines intérieurs est d’ordinaire réservé aux spécialistes...          mais comment l’amener devant un spécialiste ?

Il supposa un instant que, de toute façon, il n’arriverait pas à la transporter... depuis quelque temps, elle devenait hermétique... se faisait lourde...  et lisse...   sans arête où s’accrocher... sans crochet où se pendre... pour la tirer vers soi...

Elle regardait droit devant, derrière la glace... au-delà. Il se reprocha de trop penser...de trop panser... de jouir de la caresse acide de ses blessures mentales.

Faudrait-il qu’il entaille pour atteindre les entrailles ...?

Il supposa un l’instant même où il retrouverait son ventre chaud, pénétrerait à nouveau dans la douce moiteur de ses laves humides... et le courage afflua... et la maîtrise indispensable... indice pensable de la sérénité...

Sa main glissa sur le sein gauche, souple et dru dans la lumière...
L’autre, le sein droit, restait instinctivement dans l’ombre pour se protéger... pour dire ou redire “on ne possède jamais totalement” à celui qui toujours l’oublie.

La pointe du tournevis trembla un instant entre ses doigts, se figea enfin, outil, efficace, définitive... incisive... décisive.

Il se trouva petit et grand, comme devant la porte d’un temple où l’on va quitter la lumière... pour une autre lumière.
Sa main engloba la poitrine, sans serrer, pour sentir, enrober, rassurer... pressa délicatement et s’enfuit brûlée. Un doigt revint en éclaireur... puis un autre... cherchèrent et découvrirent ensemble la fente, sur la petite pointe rosée du sein... la fente recherchée.

Il supposa qu’elle allait s’ouvrir un peu, à son contact habile : ses doigts de perceur de coffre ! Son autre main surgit en souplesse, le tournevis s’arrima et le fin métal épousa la fente... outil réchauffé dans la paume, qui se mit à tourner en silence. Quatre tours...

Le voyait-elle dans la glace ?
Se sentait-elle violée ?

Le pas de vis, parfait, huilé, n’offrit aucune résistance. Il libéra le petit capuchon rose et posa la pointe du sein sur le lit... à portée... souleva ensuite le dôme de chair tendre, resta un instant paralysé, plein d’une incroyable angoisse... puis le capot convexe se retrouva au côté du petit capuchon rose qui attendait sagement le retour à sa place et sa fonction d’origine : être aimé.

Le tournevis se faufila furtivement dans une poche du grand pardessus.

Il n’avait plus rien à supposer... il n’y avait qu’à voir... humblement.                      Ses yeux lui transmettaient des messages de beauté, enregistraient des images fascinantes. La découverte d’une harmonie de couleurs et de matières complexes, les coordonnés parfaites d’un univers composé de velours et de brocarts, de voiles, de draps de chair, de tentures merveilleuses dont la splendeur tuait les mots, dont l’épaisseur protégeait un monde intérieur vierge et foisonnant. Personne n’avait jamais vraiment eu accès... lui non plus.

Il était raisonnable...beaucoup trop raisonnable.
Il ne rêvait pas de tout comprendre, de tout découvrir.

Une seule chose, immédiate, lui importait : qu’elle se débloque ! qu’elle lui parle, qu’elle lui sourit, qu’elle mange, qu’elle vomisse, qu’elle pleure, qu’elle soit folle, qu’elle s’enfuit même, même loin de lui... mais vivante. VIVANTE !

            Il supposa un instant sa propre folie... 

 

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La benne ou la vie !?!

            Je sors de la benne à ordures... intacte. Je n’ai rien, ma cervelle n’a rien... parce que je ne suis rien. Je ne suis jamais rien d’ailleurs ! Patricia le disait encore tout à l’heure avant de me faire jeter par la fenêtre " Vous ne suivez jamais rien, Caroline ! Vous êtes toujours dans vos rêves ! ". Vengeance. Elle s’en voulait de rêver de moi. Elle m’avait collée pendant trois jours à la corvée de camemberts. J’en ai fabriqué des fromages à l’écran, en couleur, avec cette odeur de fric à vomir, avec des stats infâmes, des chiffres qui démontraient que les actionnaires s’enrichissaient à mesure que les secrétaires s’appauvrissaient. A presque vingt ans, avec un corps comme le mien, doit-on accepter de balader une souris pour coloriser des fromages habités par les drôles d’asticots véreux de la finance ? Secrétaire rime parfois avec bouc-émissaire.

            Patricia, ma supérieure diplômée, ne me supportait plus : uno, à cause de mes courbes parfaites et de mes fesses de hotentotes (qu’elle caressait au début en passant, comme au petit garçon qu’on récompense), deuxio, à cause de mes rêves.

            Chaque nuit, depuis mon entrée ici (dans cette boîte à camemberts !), je rêve d’une Patricia extraordinairement banale, une espèce d’ombre qui parcourt les couloirs en glissant, se faufilant entre les armoires à glace aux costards gris perle qui parlent de leurs bourses. Dans mon sommeil, elle tente vainement d’attirer leur attention en laissant la veste cintrée de son bel ensemble noir bâiller sur ses seins nus, blancs, beaux, ronds… enfin presque. Je la vois aussi faire des esquisses d’intelligence avec son beau stylo plume qui se met à fuir chaque fois que le grand directeur pénètre dans son bureau. Elle voudrait être pénétrée, mais il la dédaigne parce qu’elle ne sait pas se servir d’un ordinateur. Agressive et violette elle piaille " C’est moi qui ordonne, monsieur, j’ai une secrétaire ! ". Il se retourne alors, contemple mes boucles et mes courbes, se rend compte qu’il est un peu moche et crie lui aussi" Y’a des machines pour remplacer ça ! des machines qui ont de la mémoire ! " et Patricia rétorque " Caroline est peut-être obsolète, mais elle, au moins, elle n’a pas dix sept virus par semaine ! elle est saine ! ". Flattée j’esquisse un grand sourire, le soleil rentre dans ma chambre, je me réveille, m’étire, lave mes petites fesses, cours vers le bureau… et chaque jour qui se lève est une leçon de courage (c’est une phrase que j’ai lue chez le dentiste).

            Comme chaque matin quand j’arrive, Patricia quitte mon fauteuil en plastique  - d’où elle contrôle ma production de camemberts de la veille - je pose mes très fameuses petites fesses dans l’empreinte encore chaude de son gros cul bouffi, et je lui raconte mes rêves. Elle réclame un café long sans sucre, mais je continue, je ne peux plus m’arrêter. Je pouffe en m’excusant de l’avoir vue dans mon rêve se planter dans tous ses chiffres, transpirer à la vue d’un cadre international, s’habiller comme une nonne, rentrer seule le soir et compenser son stress superlatent avec des tartines de chocolat, de pâté de foie et même de coulommiers douteux…

            Je subodorais que ses rires et sourires étaient un peu jaunes, mais je ne pouvais pas m’arrêter !
Depuis quelques jours rien n’allait plus. Submergée par mes récits nocturnes, elle rêvait de moi chaque nuit et chaque nuit son désir augmentait, son désir d’avoir mes fesses, son désir de savoir faire des camemberts fuchsia, son désir de devenir pauvre… parce que la vie de riche c’est pas simple vous savez Caroline ! (riche et active disait-elle, parce que riche simplement, c’est presque supportable) parce qu’il faut toujours être sur le qui-vive, créer des emplois pour toucher des primes, en supprimer pour plaire aux actionnaires, faire du profit, du profit, du profit, et en profiter un peu aussi et grossir un peu, beaucoup, jusqu’à ne même plus être à l’aise dans la chaise en skaï de son idiote de secrétaire. Alors, la haine est venue, la lutte des classes à l’envers, la recherche du bonheur, mais du haut vers le bas.

            J’ai bien vu la benne se garer sous la fenêtre, sans penser le moins du monde qu’elle m’était destinée. La misère m’avait peut-être rendue prétentieuse ou peut-être fière de manipuler les chiffres des autres ou d’être encore bêtement souriante après tant d’humiliations quotidiennes. On ne déserte pas d’un poste pareil : secrétaire de Mademoiselle Patricia. Je n’ai pas eu le temps de donner ma démission. Elle a crié dans le couloir. Un claquement, un coup de fouet ! Et avant que n’accourent les deux sbires préposés à la benne, elle a déversée ses nuits dans le bureau. Une diarrhée. Toute sa merde mentale coulait sur mon parapheur vert. Des rêves cacaboudineux de pauvre petite fille cheffe.

            Avant de passer par la fenêtre, l’idée instinctive, sympathique et opportune m’est venue de jeter tous mes œuvres fromagères dans la poubelle de l’ordinateur et de lui dire :

—     Mais la vie n’est pas un rêve, Patricia !
—    Je m’en aperçois, Caroline ! vous êtes obsolète, OBSOLÈTE ! ! ! !

        Totale utopie que ce zéro défaut tant réclamé dans nos sociétés… le conducteur de la benne a oublié de mettre le broyeur en marche. Je n’ai rien, je suis intacte, obsolète, mais vivante. Il y a bien une petite tache de merde sur ma jupe vichy, mais c’est toujours mieux que d’être morte dans un tailleur de soie*.

            Je ne suis plus rien mais je ne sens plus rien.

            Et vous, ça va ? !

(*) J’ai d’abord écrit soie sauvage, puis l’évidence m’est apparue : la soie sauvage, issue d’une chenille d’élevage pas si sauvage que cela, fait elle aussi partie de l’univers du faux, aujourd’hui quasiment commun, qui participe au bonheur planétaire.

 

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Rédigé par William Radet

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Attracteurs étranges

Je vais certainement tuer l’auteur de ce livre.

Comment ? Avec quoi ? Je ne sais pas, j’ai toujours été désarmé. Ai-je un jour, une minute seulement, possédé ou brandi une arme ?        

Je n’accorde pas cette qualité au vieux couteau suisse lourd et neutre qui élargit les trous dans mes poches. Je retrouverai ce type. Il le faut. Imaginez qu’un policier du hasard vienne l’interroger pour savoir où il m’a rencontré ! ?

 Ce bouquin qui a pour titre «Juste avant le désert» le destin l’a posé devant moi dans un lieu ou la lecture est très improbable. Dans le grand sud. Sur un banc brûlant, près d’une épicerie bleue. Tous les trois mois, je me traînais jusqu’au village pour m’approvisionner. Le nécessaire. Très peu. J’ai vu un nom sur ce livre ouvert. Une bouteille de limonade vide gardait la presque dernière page. Au travers du verre, un nom grossi et déformé, un nom que je connaissais, un nom d’avant, un nom du nord, d’Europe. Je l’ai saisi ce livre. Une jeune femme très blanche est apparue par la porte basse qui mène à la petite cour, derrière. Très très blanche, malade, touriste. Elle a regardé vers le banc. La bouteille de limonade était seule, couchée, vide et résignée. Le petit volume était dans ma poche. La jeune femme s’est approchée, à la fois surprise de ne plus trouver son livre et de deviner sous ma crasse les traits d’un homme de là-bas. Elle a souri, intriguée, à peine tendue, la question au bord des lèvres puis est sortie dans la lumière écrasante. Elle a trébuché, elle a porté sa main à ses paupières, elle est allée s’asseoir dans le seul coin d’ombre de la place comme pour attendre... 

            Je suis parti vite, oubliant la moitié de mes provisions. Je l’ai lu tout de suite, ce petit livre. Il racontait ma propre histoire. Non. Plutôt des bribes de ma vie, la restitution sensible des passages, des mouvements et des sentiments qui avaient dû présider à ces dernières années.

            L’auteur avait traduit mes sens et mes images, à sa façon, mais avec beaucoup de mes mots. Je me souviens de lui : un rondouillard à lunettes.
Il est arrivé par la grande dune. Il revenait de photographier le désert. Comme si c’était possible. Le soleil tombait, les ombres fraîchissaient vite. J’allais rentrer sous la tente lorsqu’il est venu vers moi et m’a demandé ce que je faisais là. Je n’ai pas répondu. Pourtant je devais être un peu fragile, puisque je l’ai laissé me suivre à l’intérieur. Il s’est assis puis s’est mis à parler, à sortir à boire de sa musette, s’est levé pour reprendre de l’alcool à l’arrière de sa camionnette. Il buvait beaucoup. J’ai fini par parler un peu aussi, par boire un peu aussi, puis beaucoup parler et beaucoup boire. Je n’ai plus ces habitudes et je crois que j’ai perdu connaissance ; je veux dire que je n’ai plus rien maîtrisé. Il me reste juste le vague souvenir d’un moment fabuleux de laisser-aller, quelque chose que j’avais laisser mourir en solitaire. Piégé. J’ai trouvé le matin radieux. Il était parti en laissant un petit mot. « Bonne chance et revenez-nous ! »

            J’avais dû délirer toute la nuit, desserrer la corde, ouvrir ma boîte crânienne ou tout était gardé. Sévèrement gardé. Et voilà que tout est là, dans ce livre. Presque tout, un peu dispersé, mais quasiment vrai. J’ai peur.
Après la stupeur, la décision. Partir, le retrouver. Il me reste un peu d’argent. Ici c’est beaucoup, là-bas ce ne sera rien. Le grand port est à sept jours de marche. Le Marroussia, un grand cargo piqué de rouille part pour Le Havre. J’ai ma petite place, près de la cabine du commandant, un taciturne. Tant mieux.

        Depuis cinq jours, je lis, relis en tous sens l’histoire de ma vie.
Je vomis souvent. Je vomis cette mer grise et cet auteur à la mémoire maudite qui me réveille, me secoue durement. Je suis à nouveau en danger.

          Les tripes me montent aux yeux.

        Voilà. Je l’ai relu de nombreuses fois, cette histoire déchiquetée d’un trop « sensible ». Jusqu’à l’accostage du Marroussia. Et encore une dernière fois dans le train qui me ramenait vers Paris. Plus je me rapproche de l’auteur, plus je suis déconcerté, confondu. Si ces bribes de ma vie n’y sont pas totalement rendues quand aux faits, elles sont en tout cas saisissantes de vérités profondes... mes vérités de l’époque. Comment a-t-il fait pour s’emparer de mes sens avec autant de précision. Nous flottions dans l’alcool ce soir-là dans ma cabane et il n’a pris aucune note. Avant de le faire disparaître, j’aimerais découvrir d’où lui vient ce pouvoir de réception extrême, de traduction, de transmission. Un hypersensible... un autre ? Egaré comme moi dans le désert ?

            Quelque chose a changé dans la capitale. Dans l’air. Dans l’air du temps. Sur la même page d’un journal, une grande photo de Bashung, le chanteur enfin au zénith, voisine avec un court article sur « Juste avant le désert ». Sans portrait. L’auteur dit qu’il m’a rencontré à une période où il était fasciné par les déserts, qu’il lui a été impossible de transmettre tout ce que j’ai raconté, que je parlais trop vite et trop bas, à la limite de l’audible ; qu’il n’avait le temps de saisir que quelques fulgurances et qu’il a l’amer sentiment d’avoir raté des passages essentiels de mon histoire. Le type du journal lui demande comment je m’appelle. L’auteur ne sait pas. Le type du journal lui demande s’il pense que mon histoire est vraie. L’auteur ne sait pas. Il dit que mon langage, chargé de métaphores et de digressions quasiment proustiennes avait une clarté et une longueur simultanée... et que les mots parvenus sur le papier lui semblent aujourd’hui bien pâles. Le type du journal lui demande s’il aimerait me revoir. L’auteur ne sait pas.

         L’auteur est dans son appartement. J’attends presque en face. Une douce lumière coule de sa fenêtre. Il doit écrire, mort un instant pour le reste du monde. Je suis immobile sous une petite pluie silencieuse. J’avais oublié cette sensation... j’avais aussi oublié les odeurs qui montent des pavés, des jardins après la pluie. L’auteur écrit toujours. J’attends toujours. J’avais aussi oublié la magie de l’aube.
L’auteur éteint sa lumière et vient à sa fenêtre. Il regarde seulement le bout de la rue et semble guetter le petit soleil qui tente de vivre pour m’éclabousser. Il ferme la fenêtre. Je suis un peu tendu. Le couteau dans ma poche est toujours fermé.
L’auteur apparaît sur le trottoir, juste en face. C’est bien lui. Il porte des lunettes noires. Il reste immobile et me regarde. L’auteur me ressemble…

            Vite, vite, rendez-moi mon désert !

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Cette nouvelle est le prologue de "Juste avant le désert"
qui se lit sur ce blog... et qui attend patiemmment un éditeur

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Rédigé par William Radet

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De la matière gris
Ça ne s’est pas vu tout de suite...  

Ni même aperçu... ni su... peut-être senti... progressif, possessif.
J’ai du muscle, du must. Athlétique, ascétique, esthétique.                             

Sourire... silence... séduction. Belle mécanique, physique sûr, physique pur, sans complexe, sans réflexion... vivant, animal.
La gueule aussi...super, super gueule !

C’est venu... chinois... sournois... par les orteils.

La fille a dit « Hou ! c’est le pied ! » Mes yeux sont tombés.
Rien n’avait changé mais dans mes mocassins.... plus rien... plus de présence.
J’ai fait mine de remonter mes chaussettes. Vérification. Ils étaient bien là, les deux…
Mais quand j’ai voulu remuer les orteils... Rien. Désert glacé, panique...
Pas un mot !!!

Plus tard, la fille a dit aussi « Ca me fait une belle jambe! »
J’ai encore remonté mes chaussettes, vite, plus haut, de nouveau...    
encore plus haut... mais je ne les sentais plus non plus, mes jambes !
Même pas le froid, le vide !!!
Et ma tête m’a semblé plus présente...

L’après-midi, dans la chambre, j’ai caressé ses longues cuisses...
Elle m’a parlé de ses fesses antillaises, hautes, rondes, de ses hanches fines,
de son ventre plat, de sa poitrine enfin. Touche !
De mes muscles longs, de mon cul de béton, de mon ventre de marbre, de mon torse d’acier. Touche !
Elle touche aussi, tout est là pour elle.
Elle caresse mais elle caresse pour rien.

Je ne sens plus rien.
Ce n’est pas le froid, ni la paralysie, ce n’est rien... ce n’est pas...
Mon corps n’a plus que l’apparence... horreur, hologramme... sauf...
...sauf que ma tête est là, entière, pleine, épaisse, énorme, dense, plombée.
Il n’y a plus qu’elle, solide, lourde... et ma queue...

La peur, la peur qui monte, irrésistible !!!
Mes yeux révulsés roulent et basculent soudain.
Je perçois, je vois maintenant l’intérieur de mon crâne, mon cerveau.

IL N’A QUE DEUX CASES ! ! !? ! ? !

Deux cases... une blanche et une grise anthracite... opaque... la blanche, épaisse, chaude, gluante... reliée directement au sexe... unique survivant... protubérant.

Soudain la case blanche se vide ! brutal soubresaut de liquide… visqueux.

Cris de la fille... loin... loin...

La case blanche vidée a laissé apparaître un gazon rasé de près, d’un vert anglais prodigieux, avec juste une petite balle blanche... en bas, au centre. Propre, clair, net, green clean.

La paroi a bougé, entre les deux cases... oui ? Oui !!! J’en suis sûr !!!
Il monte, il monte !! la paroi devient convexe, à rompre...

Quelque chose (certainement pas quelqu’un) frappe doucement contre la couche qui sépare les deux parties de mon cerveau. La cloison translucide plie, s’arrondit sous une pression invisible venant de la case grise.

Je ne voie pas, je sens que ça bouge... que ça grouille !

La pulsion d’une peau frappée… un bongo s’éveille... lancinant... palpitant... et dans le gris, dans le gris ça bouge vraiment, ça bouge de plus en plus... et le bongo cogne, cogne de plus en plus fort !

LES VOILA !! LES VOILA !!

Elles sont folles, elles sont libres, elles jaillissent du brouillard, elles déferlent inlassablement, envahissent, inondent la pelouse verte qui disparaît.

La cervelle noyée, je meurs avec cette seule case, unique, grise, pleine, peuplée, surpeuplée par la multitude DES IDEES QUI N’ONT JAMAIS VU LE JOUR.

NB.        

L’autopsie révéla que la pelouse était irrécupérable, totalement détruite par le rejet brutal de la matière grise trop longtemps accumulée et ignorée.
Le cerveau n’ayant apparemment obéi qu’aux pulsions esthétiques, un savant s’interrogea sur le véritable pouvoir des médias et sur la réelle capacité des hommes à maîtriser un penchant naturel pour le mimétisme.
Il édita également un essai remarquable (tiré à compte d’auteur à cent exemplaires numérotés sur vélin de Hollande) qui définissait de façon magistrale la véritable perte des potentiels humains et la sous-exploitation des ressources mentales paralysées par la priorité donnée aux modes et aux normes définies par une poignée d’individus étonnamment relayés par la presse.

 

 

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Un petit mot

pour un grand mal

  Un petit mot apparut sur l’écran...                        

Sûr de lui, sûr de sa valeur, de sa capacité à transmettre quelques vérités impossibles ou enfouies dans les mémoires.

Il était là, seul, totalement seul, au beau milieu de l’écran immaculé et luminescent dans la verdure cathodique.
Avec cinq lettres d’une banalité désarmante il avait le fol espoir de faire passer un message extraordinaire, un de ces messages uniques... qui ne peut exister que si le récepteur est totalement et correctement connecté.

Une bouche apparut soudain derrière lui, annihilant tout éclat, tout effet.
Il se sentit encore plus petit, soudain plus trouble... 
il n’était après tout qu’un pauvre mot, sans bruit, perdu... et quand des yeux se dessinèrent un peu plus haut, il sut qu’il n’était rien, qu’une vue de l’esprit...

En face d’elle il ne pourrait pas lutter...
Il paniqua à l’idée de disparaître totalement ; elle connaissait certainement le programme et l’éteindrait quand elle le voudrait.

Il avala sa prétention...
Ses couleurs merveilleuses, l’éblouissaient, ou, plus exactement, le rendaient plus pâle... Maintenant son sourire le désarmait... elle occupait maintenant tout l’écran et lui ne représentait plus qu’une surimpression, une réserve...

Il se mit alors à chercher des synonymes, des métaphores, pour donner le change, pour avoir sa chance... Il n’aimait pas les superlatifs, tout le monde en abuse... pas lui, oh non, pas elle non plus d’ailleurs...

Elle ne bougeait plus, fixée, comme définitive...

Il savait pourtant qu’elle s’en irait d’elle même, de son plein gré...

Le visage de la fille se fit de plus en plus doux... pastel... et lui restait là, toujours au centre, muet, immobile... fasciné, programmé...
et le miracle vint, naturellement, calmement...

Par un simple déplacement, la bouche se plaça derrière lui au centre de l’écran, s’entrouvrit légèrement ...et le prononça... « AMOUR ».
Fondant de bonheur entre ses lignes, il fut immédiatement remplacé par un synonyme « LEILA »

Jamais personne ne retrouva le programme... ni le virus...

 

 

 

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Rédigé par William radet

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Malaise de falaise  

Elle stoppa brutalement au bord de la falaise.

Ses yeux, précipités dans le vide, heurtèrent un petit tas tout sombre, en bas, sur les galets gris-bleu.
Une pensée-sagaie vint se planter avec une violence inouïe tout au fond de son crâne :  « JE L’AI POUSSÉ ! » et ça se mit à saigner partout dans sa tête... abondamment.

Elle épongeait vite, précipitamment, brutalement, maladroitement et ses mains serraient sa poitrine qui se gonflait, se vidait, comme une pompe pour évacuer tout ce sang. Ce sang à elle devenait son sang à lui...et la noyait.
Elle supposa très fort que tous ces galets n’étaient que des éponges, molles, douces... qu’il allait se relever... qu’il n’avait aucune blessure... rien... que tout cela n’était rien... qu’un instant d’elle-même, perdu, un reste de défense, de sauvagerie... une illusion. Du haut de la falaise, le petit tas tout sombre semblait désarticulé.
Elle ne hurlait pas. Tous les cris possibles, disponibles, étaient crevés, percés par la sagaie. L’espace devint immense, irréel, sans bornes... plus d’oiseaux, ni de voiles, que du bleu sombre et plombé, du vent sec, dans son dos, sans odeur.

Il était heureux, au bas de la falaise. La grande muraille au béret vert faisait barre au vent. Un grand calme...et des parfums d’algues et d’eau, et des milliards de cailloux presque ronds, lisses et bleutés, quasiment parfaits. Ses mains les soulevaient un à un, calmement, dans l’espoir menu qu’apparaîtrait soudain une petite pierre insolite, cachée, vivante un peu, avec des formes, des aspérités, une pierre rebelle qui aurait su résister à la mer, garder son identité.

Il était heureux. La sérénité. Aucune pensée pour aucun être. Sous la protection de la falaise... comme un mur entre le monde et lui.
Ses petites mains fouillaient le minéral, à la recherche du moindre signe de fantaisie, du moindre galet qui évoquerait...justement ! Celui-ci était traversé d’une sorte de veine, une courbe bleue, plus bleue, plus sombre sur la face de pierre, comme un sourire...sardonique.

Il leva machinalement la tête vers le sommet de la falaise... Elle le vit bouger, se lever, courir vers la muraille d’une course gaie, enfantine.   

Il était oiseau ! D’une seule envolée, sans même souffler, il franchit les centaines de petites marches glissantes qui menaient là-haut, sur le plateau.
Il les connaissait déjà, il était descendu par-là pendant qu’elle cueillait des fleurs... sauvages.
Il fut vite auprès d’elle, tout rouge, tout vif !
Contre elle, toute pâle, toute morte...! lui saisit le bras, fit tomber les fleurs, montra son caillou et dit :
 « Viens, tu vas attraper la crève ! »

 Nouvelle parue parmi les textes de "Silences"
 
livre d'art publié avec le photographe Didier Cry

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Rédigé par William Radet

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Amygdales 

  

Je suis petit, pas trop petit... 
Une voiture... une frégate verte, lentille d’eau exactement, avec des pneus à flans blancs... se gare directement dans la cour pavée. Surprise. Les enfants du coin regardent aussi. Les parents derrière les rideaux. Un homme ouvre la portière, un monsieur. Cheveux tirés en arrière, costume gris clair croisé : la classe. Je ne savais pas que c’était la classe. J’avais quatre ans peut-être... Deux belles dames descendent aussi. Elles étaient assises à l’arrière. Elles sont plus jeunes et un peu moins riches, mais tout de même... Elles viennent vers moi « Bonjour mon bonhomme ! »... leurs mains douces sur ma tête. Le monsieur s’accroupit devant moi, me pince les joues en souriant comme Zorro, se relève et tend la main vers ma maman qui arrive. Elle semble un peu timide, maman. Elle n’est pas du même monde, je le sens. Mon père n’est pas là. Il fait doux. Tout le monde entre dans la maison, dans la cuisine. On faisait tout dans la cuisine, à cette époque. Le monsieur demande une bassine et de l’eau bouillie. Il y en a toujours sur la cuisinière. Les dames qui ôtent leur manteau maintenant font plutôt demoiselles ; elles ouvrent une mallette. Je ne bouge pas. Je ne comprends rien. Maman ne me regarde pas, elle parle au monsieur en lui disant « Docteur ». Une demoiselle endosse une blouse blanche sans ceinture, l’autre me demande de monter debout sur une chaise et commence à me déshabiller. Elle me dit qu’elle s’appelle Jocelyne et que je suis bien mignon. Je pisse tout debout sur la chaise. Je bégaie. Je bégayais beaucoup à l’époque, mais là, c’est plus. Le monsieur a placé une autre chaise face à la porte vitrée, là où il y a la meilleure lumière à cette heure-là. Cette lumière, je la reçois en pleine face lorsque la femme en blouse blanche m’attache dessus avec des lanières de cuir. Je crie.

            Maman ne dit rien ou elle dit « C’est rien ». Mon père ne rentre pas. Je repisse encore. Ma mère me dit « Dis bonjour au docteur, tu verras, il ne te fera pas mal ». Les femmes sourient comme des anges, mais je crois que c’est pas des anges, surtout parce qu’elles  approchent un truc tout brillant, nickelé près de ma bouche. J’ai juste le temps de voir que le monsieur à la frégate à une sorte de pince à main et qu’il a aussi une veste blanche et je m’évanouis, enfin, je m’endors. Quand je me réveille, tout le monde est parti,  je suis seul dans le grand lit de la grande chambre. Tout est rouge. Les draps sont pleins de sang. J’ai du sang plein la bouche, ça coule encore, avec des caillots au bord des lèvres. Je ne crie pas. Je ne suis pas mort du tout... juste ce sang... allez, je vais me vider tranquillement... je me sens très mou, très flou. Ma sœur que je n’avais pas vue hurle « Il est réveillé ! » Ma mère arrive. « Tu vas être tranquille maintenant, tu n’auras plus mal à la gorge, le docteur t’a opéré des amygdales et des végétations. C’est fini. Demain, tu ne saigneras plus. »

 Pour un rhume, elle n’aurait jamais dû laisser faire ça !
 Mon père non plus !         

A mon frère, on ne lui a pas fait !

 

 

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La gale 

            Une autre fois aussi, il y a du rouge... mais là, c’est sur ma tête.

Je suis chez le forgeron. J’aime beaucoup être chez le forgeron, il me laisse tirer le truc avec une poignée pour faire marcher le soufflet et je le regarde qui tape comme un forcené sur des bouts de ferrailles. Je ne comprends pas à quoi ça sert mais c’est bien. Il laisse d’abord la pièce de métal chauffer dans la braise qui reste chaude grâce à moi, hein, même si je suis petit, je fais du vent, puis il la sort avec des grandes pinces (pas nickelées mais plus grandes que celles du docteur méchant), la pose sur son enclume et la martyrise à coups de marteau. Lorsqu’elle est plate ou tordue à souhait, il la trempe dans l’eau et ça fait psschitt, et ça sent bon. Tout sent bon chez le forgeron, même la corne qui fume au sabot du cheval quand on lui cloue des fers qui portent bonheur. J’y vais tous les jeudis, parce que maintenant je vais à l’école. Là je suis très heureux. Il est gentil, le forgeron. D’ailleurs, s’il était pas gentil, le cheval lui donnerait un coup de pied. Il fait pas saigner le cheval. Il a pas de blouse blanche. Quand sa femme crie, il tape plus fort (moi aussi, exprès) jusqu’à temps qu’elle s’en aille.

            J’ai des croûtes plein la tête, des plaques entières.

Ce jeudi-là, ma sœur vient me chercher en courant à la forge. Il parait que j’ai la gale et que je dois rentrer tout de suite. Un docteur gentil m’attend. J’ai pas trop peur, il habite pas loin. Il ne me fait rien. Il écrit un papier et s’en va. Ma mère va à la pharmacie, rapporte une fiole pleine de truc rouge et emprunte une tondeuse. Elle me coupe les cheveux, à ras, j’en ai plus, tout lisse. Je monte sur une chaise pour me voir dans la glace. C’est rigolo, mais je me sens vieux. Avec un pinceau elle étale le liquide rouge sur mon crâne et retire la glace. Je m’en fiche, je vais me voir dans celle de la charcuterie. C’est marqué « Pleure pas ton cochon, il fera du bon saucisson » mais je pleure quand même, pourtant j’ai pas mal. Quand je retourne à la forge, on se moque de moi. Je ne pleure plus. Je m’en vais, qu’il se débrouille avec son soufflet et sa femme qui crie, mais je suis très malheureux. Les plaques cicatrisent. Mes cheveux repoussent un peu et là, c’est l’horreur. Le docteur revient et avec une petite pincette décolle les croûtes et les retire en arrachant des cheveux. J’ai l’impression qu’on m’arrache le crâne, que ma tête n’est qu’une plaie. Le forgeron n’a plus voulu de moi, même pour tourner la meule.

Cette nuit, j’ai vu dans un rêve, à Moscou, sur la place Rouge, une vieille dame qui poursuivait les enfants dépenaillés pour leur verser, avec une petite fiole, quelques gouttes sur le crâne. Ils s’enfuyaient, la chevelure en flamme en hurlant de terreur.

Je me suis réveillé en sursaut et ma sœur a dit tout bas « Un Prince de gale ne pleure jamais »

            Mais quand même…

 

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Le lance-marrons

          Le lance-marrons, moins connu que le lance-pierres parce que ne s’utilisant qu’en saison, en l’occurrence l’automne, est un engin de guerre absolument redoutable. Contrairement au lance-pierre dont la technologie plus sophistiquée nécessite une fourche parfaite d’un bois solide, indéformable, un élastique épais, à la fois résistant, extensible à souhait mais difficile à trouver (la chambre à air noire ou rouge découpée en lamelle ne constituant qu’un ersatz) et un petit carré de cuir souple, le lance-marrons est composé de trois éléments très simples : un morceau de branche bien droite de trente ou quarante centimètres de longueur, d’un diamètre de trente ou quarante millimètres (quarante c’est mieux pour la prise en main, tout dépend en fait de l’âge du lanceur) qu’on écorce ou pas, qu’on décore ou pas, d’une ficelle solide également de quarante centimètres bien fixée au bout du bâton et d’un clou de quarante millimètres habilement attaché à l’extrémité de la ficelle. Le clou sera bien enfoncé dans le marron, mais pas trop quand même (ni trop ni trop peu, là réside le savoir-faire final de l’utilisateur). On exercera sur le manche de bois (au-dessus de sa tête, un peu comme un lasso, pour ne pas se prendre un marron dans la gueule) un mouvement circulaire et la force centrifuge décuplée sur la ficelle et plus encore sur le poids du marron libérera celui-ci de son clou en direction de l’objectif. Rarement atteint. (La précision du tir est beaucoup plus aléatoire que celle du lance-pierre car on ne dispose d’aucune position de visée). L’adresse vient essentiellement de la force et de l’expérience. Certains tirs sont d’une violence insoupçonnable. Très utile pour fracasser à distance les vitres des acariâtres En cas de lancés entres cibles vivantes (par haine passagère ou inconscience) les antagonistes doivent impérativement se munir d’un couvercle de lessiveuse, seul bouclier efficace et facile à trouver. La lessiveuse montre encore une fois son utilité fondamentale et sa polyvalence. Ce jeu se pratique essentiellement en automne, saison où le marronnier d’Inde libère de sa coquille verte et vraiment trop piquante un fruit merveilleux et immangeable, dur et brillant comme un beau cuir, que son inutilité commerciale rend bien sympathique. Les enfants non violents (en voie de disparition) les creusent pour en faire des paniers nains ridicules et les vieux les gardent dans la poche pour conjurer les rhumatismes. L’automne est une saison bénie : on peut à la fois cueillir des pommes, voler des poires, ramasser des champignons mortels ou pas, gauler des noix et lancer des pierres aux rouquins écureuils qui nous piquent lesnoisettes. Dès l’hiver, le lance-marrons s’égare dans une cabane quelconque, délaissé, il se fond dans le décor, se délite et disparaît à jamais.
___________________________________________

Cette nouvelle est un passage extrait du roman "Tourbillons"
toujours en attente d'un éditeur 
 

 

                         

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Rédigé par William Radet

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Nouvelles extraites de mon roman "Un flou dangereux" paru en 1996 
et dans sa version nouvelle "Juste avant le désert" téléchargeable

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  Insecte  

Il a dormi longtemps.

            Il a repeint sa chambre en noir. Il a mis aussi un rideau sombre devant les étagères. La couverture est grise. Tout va bien. Il ne s’est même pas glissé dans les draps. Son corps se reflète dans le plafond de laque trop brillant. Un vrai miroir. Il est nu.

            Alors apparaît sur sa jambe - ou plutôt sur son image au plafond - un insecte. Il est assez gros, il ne sait pas trop ce que c’est. Une sorte de scarabée brun, immobile, arrivé en douceur. L’homme pense à lui, solide, solitaire, silencieux... Il ne bouge pas. Il attend (quoique ce terme puisse être assez improbable pour lui). Il démarre soudain, avance crânement sur une trajectoire totalement rectiligne. Rien ne le freine, puisque les collines, trous et bosses ne sont que les reflets d’une anatomie... Plus les reliefs s’accentuent, plus sa course semble maîtrisée. Ses membres le propulsent avec une précision fantastique, comme si son but était programmé. Il court sur le sexe, le ventre, le nombril, le torse, toujours tout droit. L’impression est curieuse pour l’homme qui l’observe, immobile, sur le dos, un genou plié, la bouche ouverte. Stop !

            L’insecte mécanique s’est arrêté, exactement sur le reflet de la langue, comme s’il voulait entrer, comme s’il avait découvert une faille. Son goût dans la bouche ! Un goût de pierre, de bois pourri, de mort. L’homme se lève d’un bond, saisit une pantoufle au pied du lit et lui assène un coup plutôt violent. Vers ses pattes arrière sa carrosserie brune s’est fendue, laissant échapper une sorte d’humeur jaunâtre. Il reste collé au plafond. Est-il mort ?

            L’homme reste longtemps encore dans l’attente, dans le désir de chute. L’insecte ne bouge pas d’un iota, comme consterné, comme s’il procédait à des réflexions ou des calculs de probabilité sur un autre cataclysme. Dix, quinze minutes...

            … et repart soudain, toujours en ligne droite, mais plus lentement, le corps en biais, laissant au passage une traînée visqueuse. L’homme ne sent pas la souffrance de cette petite masse sombre, solide, inatteignable. Exaspéré, il bondit sur mon lit, fait chuter le monstre dans une feuille de journal, le précipite dans les toilettes et tire la chasse d’eau. Mais la bête est légère... et la voici qui flotte encore, puisque les remous n’ont pas su l’emporter. L’insecte nage maintenant vers les bords de la cuvette.

            C’en est trop, beaucoup trop ! L’homme asperge le naufragé increvable du flux acide d’un détergent bleu indigo. On ne saurait dire si l’animal est surpris, mais il exhale maintenant quelques bulles. L’homme songe à sa morve, à sa violence démesurée, à la mort d’un inconnu discret qui passait… simplement.

            L’homme s’est senti plus faible que lui. Il a pensé longtemps à cette bestiole ; elle représentait le signe supplémentaire, la confirmation qu’il était grand temps qu’il s’endurcisse, qu’il apprenne à « tomber de haut » lui aussi.

 

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Brûlures  

La tache jaune des boîtes de cacao m’attire par la porte entrouverte.

            Il est là, devant la grosse cuisinière de fonte verte... comme la première fois... le tisonnier à la main. Toujours son cigare. Il n’a pas de lunettes, ce n’est plus la peine.                                        

Ses yeux gris-vert donnent droit devant, loin devant. Il ne voit plus, il devine. Je sais qu’il sait que je suis là, que j’entre, silencieux, comme un chat. Il doit sentir mon ombre, ma forme grise qui s’approche. Pour seul mouvement, cette main blanche qui fait glisser doucement la cendre le long des rainures de fonte. Il ne voit plus rougir le bois mais il goûte la chaleur qui s’enfuit, découverte. Je reste longtemps immobile.

            Un instant, sa voix douce me vient en tête, cette voix qui comptait, qui contait, qui faisait jaillir le rire des filles, qui mouillait les yeux des femmes,qui désarmait les vaniteux... sa voix pleine de livres, pleine de vie sourde, sa voix qui s’est éteinte progressivement, inexorablement, un instant remplacée par une écriture qu’il avait trouvée assez vaine, elle aussi, pour la laisser mourir au même rythme que son regard.

            Ses lèvres se détachent, il va parler... non ! Ce silence est sans éloquence. Ce silence morne et muet ne me dit rien qui vaille. Un petit quelque chose, peut-être un de ces signes d’amitié, d’amour, de complicité, dont je ne veux plus, me manque soudainement, me rend nerveux. Mais je suis sec, je suis dur, je suis solide ! je suis venu, mais je ne suis pas faible. J’ai simplement voulu le voir avant de partir, le voir seulement.

            Maintenant, je suis sûr qu’il se moque de moi comme le rire noir sur les boîtes de cacao. Je glisse vers lui. Impassible. Rien ne le trahit. Je le connais depuis ce jour lointain ou l’on m’avait dit « Va le voir, il sait, lui, pour le bonheur »... Il n’en jouit désormais pas plus qu’un automate. Une question ridicule traverse sans me prévenir « Qu’est-ce-qu’il mange ? »

            Je suis tout près, un peu sur le côté. Son bras s’immobilise. Un sourire extraordinaire s’éveille doucement vers moi et sa voix renaît de son ventre, grave, chaude, ironique :

            — Tu es trop sérieux..

            J’entends, mais je ne veux pas comprendre.

            Je m’approche encore. Il reste immobile, la tête un peu penchée comme le font les oiseaux attentifs et curieux. Il a posé délicatement le tisonnier, comme on repose un scalpel, une dague. Ses bras pendent, flasques, désarmés. Il est debout. Je suis debout, à portée de souffle, à portée de mains... de mes mains qui jaillissent soudain, saisissent avec violence sa tête et viennent l’écraser sur la cuisinière brûlante. La chair grésille. Il ne se défend pas. J’appuie très fort. Sa bouche s’écrase, son nez, ses paupières, ses joues s’écrasent. Pas un cri. Tout son  visage fond contre la plaque rougeoyante. Je presse toujours plus fort. Je pense à ses rétines vertes, à ses petites mains potelées, à l’odeur que je ne sens pas. Je n’ose pas regarder les boîtes de cacao. Et si elles avaient toujours le sourire !?

Je ferme les yeux pour quitter le décor.

J’ai comme des fractales derrières les paupières.

Je relâche la pression. Je quitte la pièce.

Le devant de ma veste est tout chaud.

Je laisse la porte ouverte.

            Des pas et des mots qui descendent résonnent dans le grand escalier. Une voix pointue... « Ça sent le cochon grillé ! tu trouves pas Gilberte ? »

            Je vais courir, je le sais, mais je me retiens le plus possible. Je cours tout de même, longtemps, longtemps, jusqu’à l’épuisement.

            La ville dort. Il fait gris. Tout va bien.

 

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Lundi doux  

Une poignée d’herbe atterrit sur ma joue. Rires.                                

Je ne bouge pas. Une autre. Un autre rire... des rires mélangés.

Des poignées d’herbes qui pleuvent, recouvrent tout mon visage.

Merci les filles ! Je reste immobile. Toutes ces odeurs mêlées... les femmes, les plantes coupées, cuites à feux doux par un charmant soleil, la terre d’automne.

Elles rient toujours, les filles, comme des gamines et l’herbe pleut sur tout mon corps. Je suis enseveli, mort trop vivant sous un catafalque miraculeux où je suis un instant en contact, puis en osmose avec quelque chose de naturel et d’indéfinissable. Je suis au chaud comme on doit l’être dans un ventre, protégé, invisible.

Les rires cessent. Des petits pas s’éloignent, laissant seule à mes côtés une respiration si douce qu’elle n’altère pas la qualité du silence. Saisissant !

Je sais que nous sommes seuls, je ne sais pas avec qui, je sais qu’il va se passer quelque chose.

Une main s’est posée sur l’herbe, à la hauteur de mon sexe, a retiré l’herbe sur mon sexe qui enfle doucement, qui vit sans moi. Zip !!! La main sort ma queue à l’air libre. Des lèvres l’effleurent, une bouche l’absorbe. Elle doit être immense puisque je me sens disparaître complètement. Je serais bien incapable de bouger, prisonnier heureux de cette bouche brûlante qui me masse, me mange, me vide... et puis la bouche est partie, doucement... et puis la fille est partie, calmement... à petits pas feutrés sur le pré, me laissant à la fois dans un état magique et pantelant, avec l’intense bonheur de certaines fatigues, les bras le long du corps, les yeux toujours clos sous un voile d’herbe tiède, avec l’envie de rester inanimé, avec le désir que rien ne gâche, que rien ne bouge, que rien ne soit, que tout recommence...

 

 

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Lundi doux 

 

Une poignée d’herbe atterrit sur ma joue. Rires.                                

Je ne bouge pas. Une autre. Un autre rire... des rires mélangés.

Des poignées d’herbes qui pleuvent, recouvrent tout mon visage.

Merci les filles ! Je reste immobile. Toutes ces odeurs mêlées... les femmes, les plantes coupées, cuites à feux doux par un charmant soleil, la terre d’automne.

Elles rient toujours, les filles, comme des gamines et l’herbe pleut sur tout mon corps. Je suis enseveli, mort trop vivant sous un catafalque miraculeux où je suis un instant en contact, puis en osmose avec quelque chose de naturel et d’indéfinissable. Je suis au chaud comme on doit l’être dans un ventre, protégé, invisible.

Les rires cessent. Des petits pas s’éloignent, laissant seule à mes côtés une respiration si douce qu’elle n’altère pas la qualité du silence. Saisissant !

Je sais que nous sommes seuls, je ne sais pas avec qui, je sais qu’il va se passer quelque chose.

Une main s’est posée sur l’herbe, à la hauteur de mon sexe, a retiré l’herbe sur mon sexe qui enfle doucement, qui vit sans moi. Zip !!! La main sort ma queue à l’air libre. Des lèvres l’effleurent, une bouche l’absorbe. Elle doit être immense puisque je me sens disparaître complètement. Je serais bien incapable de bouger, prisonnier heureux de cette bouche brûlante qui me masse, me mange, me vide... et puis la bouche est partie, doucement... et puis la fille est partie, calmement... à petits pas feutrés sur le pré, me laissant à la fois dans un état magique et pantelant, avec l’intense bonheur de certaines fatigues, les bras le long du corps, les yeux toujours clos sous un voile d’herbe tiède, avec l’envie de rester inanimé, avec le désir que rien ne gâche, que rien ne bouge, que rien ne soit, que tout recommence...

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Rédigé par William Radet

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Il supposa encore un instant  


Il est vrai qu’elle pouvait supposer qu’il supposait beaucoup... trop peut-être.

Il supposait naturellement qu’elle supposait aussi malgré ses longs silences...

Il se mit à parler, comme souvent. En fait, il semblait plutôt couler de lui ces mots ronronnants dont la structure musicale s’harmonisait curieusement avec l’extrême précision des sentiments exprimés... L’élégance du bruit venait à point soutenir la qualité quasiment visionnaire des descriptions les plus fantasques et fantastiques d’un certain paysage mental...

L’évidence de ses propos n’était pourtant que le fruit d’une observation aiguë. On avait peine à croire qu’elle soit totalement instinctive, incontrôlée.

Il voyait de tout son corps...

Elle supposa la mort…
Comme il est facile de supposer la mort ! Elle avait du la voir de près, la mort... Comme tout le monde ! Non ! Car tout le monde, à peu de chose près, suppose la mort parfois... la fixe un peu... et lui tourne le dos !

 La mort s’était approchée dans  sa jeunesse... Elle était venue à quel âge ? Oh, quel âge, il n’en savait rien... il savait seulement lire les traces.

La toute transparence de son corps était une preuve tangible, même si l’on suppose que le tangible n’est pas toujours une preuve, seulement une rassurance.

Cette vie qu’il trouvait en elle le rendait si heureux… Il ne faisait aucun doute qu’elle venait d’ailleurs... que cette rencontre n’était pas fortuite.

Les autres supposent la mort bêtement, incapables qu’ils sont de supposer la vie... La mort, c’est facile puisque ça n’est qu’une perspective, tandis que la vie c’est là, ça vous entoure, ça vous noie, c’est trop près...
Il ne supposait donc rien d’autre que la vie mais tous ceux qui l’écoutaient sans l’entendre s’empressaient de boire ses paroles pour étancher une petite soif immédiate, dévoraient ses mots, comme on dévore un roman... avant de passer à autre chose... Les autres supposaient même un instant qu’il avait décidément beaucoup d’imagination et s’en retournaient à leur “réalisme” totalement artificiel mais réputé cohérent.

Mais elle... non... elle, elle voyait ses couleurs, elle entendait ses bruits, elle sentait ses odeurs, elle... Elle supposa qu’il avait beaucoup vu, beaucoup vécu, beaucoup vaincu...  de haines... d’indifférences...

Elle se serra très fort contre lui... il ne la sentit pas tout de suite.
Il décrivait les images puissantes qui défilaient sur sa pellicule interne et qu’il avait enregistrées... il y a bien longtemps... dans une enfance...

Elle dit “Petit...” Elle avait tout compris...
Ce tout indicible qui n’est rien et qui le fit sourire… étrangement.

 

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Ellui

Ils avaient roqué sur la rocade, fendu la foule du faux bourg, traversé deux départements, à une vitesse...!!! folle vitesse en souplesse... et la double comète métallique sur aire d’alsphalte était venu mourir d’aise au beau milieu d’un silence beauceron, dans l’enfer des graminées montantes...

Un pauvre peuplier placide signalait tout de même que tout était possible ici...

Il la regarda en tremblant. Rien ne fut enregistré sur l’échelle de Richter... C’était trop profond, trop intérieur... Pourtant, une paupière s’agitait... il sut alors qu’il ne fermerait pas l’œil de la nuit...

Il marmonnait, chantonnait même avec une certaine énergie. Elle supposa qu’il était décidément était très délicat, que sa voix servirait à couvrir les grondements du tremblement, les battements, les déchirements, les vibrations, les sensations, les... indécis, déments.

Elle était trop calme, trop immobile... trop attentive, elle percevait... de toute façon, il serait impossible de lui interdire de poser une oreille contre son cœur pour entendre.

Elle resta longtemps silencieuse... et soudain, comme si... rien !
elle envahit le haut-parleur de sa bouche,
comme pour étouffer les cris du fond
comme pour se fondre dans les cris
comme pour lui crier “entre”...

Il plongea dans sa lave en souhaitant se perdre... se brûler... elle fondait... elle fondait... il fondit avec elle...

Les vélos, profitant de « l’absence » de leur maître déraillaient sournoisement.

ELLUI ne formaient plus qu’une forme. Soudure...

Elle se détacha doucement...
Il supposa que sa peau allait se détacher aussi en lambeaux de chair.
Brûlée, à vif !

Il eu très peur de n’être pas intact... elle aussi.

Elle revint et posa sur son ventre une main douce pour effacer les marques...

Personne ne verrait qu’ils ne faisaient qu’un, ces deux-là !

 

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Doucement

à l’intérieur, doucement... 

Elle se tourna vers lui, un peu stupéfaite.
Comment lire... intriguée, fascinée...

Ses yeux, qu’elle connaissait pourtant bien, émettaient une sorte de rayon vert et jaune, avec des paillettes de désir qui se tordaient doucement.

Un gros chat gris de nuit supposa même un instant qu’il fallait presser le pas... qu’ils avaient envie de se presser, envie d’être entre peaux.

Lui ne disait toujours rien. Comme s’il concentrait tout son désir dans ses yeux qui prenaient toute leur force, leur couleur... ailleurs...

Elle se sentait toute... Pleine de vibrations, pleine de sève, pleine de...               LE TOUCHER, VITE !

Elle lui glissa un doigt dans la bouche et lui caressa la joue... doucement... à l’intérieur... doucement... à l’intérieur... doucement.

Les vélos s’étaient échoués en souplesse le long des pavés gris d’un trottoir où ne trottaient plus que les idées neutres dans les cervelles d’un monde qui courrait à bride abattue vers d’hypothétiques lignes d’arrivistes... le long d’un entrepôt anthracite dont les fenêtres portaient encore le spectre des regards éteints des milliers d’hommes et de femmes qui avaient accepté ce lieu pour une mort lente, une mort grise, sans autre secousses que celles des fardeaux journaliers.

Elle n’aimait pas la grisaille... mais elle l’aimait, lui, dans la grisaille, dans le brouillard, dans la boue, partout où elle pouvait percevoir cette lueur dans ses yeux.

Il supposa qu’elle n’aimait que cette lueur mais qu’au soleil, il lui semblerait pâle, insipide, sans couleur, passé.

Elle pensa qu’on s’attachait bien dans la misère mais qu’elle n’aimait pas la misère, qu’elle était fille du soleil, de la lumière, qu’il ne fallait surtout pas que l’ombre devienne indispensable.

Il eut très peur, soudain, que son doigt quitte l’ombre dans la bouche...

Il l’écarta doucement... de l’intérieur... doucement.

Ses yeux devinrent de glace... et les vélos s’étalèrent en pure perte avec fracas.

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Ellui

 

Ils avaient roqué sur la rocade, fendu la foule du faux bourg, traversé deux départements, à une vitesse...!!! folle vitesse en souplesse... et la double comète métallique sur aire d’alsphalte était venu mourir d’aise au beau milieu d’un silence beauceron, dans l’enfer des graminées montantes...

Un pauvre peuplier placide signalait tout de même que tout était possible ici...

Il la regarda en tremblant. Rien ne fut enregistré sur l’échelle de Richter... C’était trop profond, trop intérieur... Pourtant, une paupière s’agitait... il sut alors qu’il ne fermerait pas l’œil de la nuit...

Il marmonnait, chantonnait même avec une certaine énergie. Elle supposa qu’il était décidément était très délicat, que sa voix servirait à couvrir les grondements du tremblement, les battements, les déchirements, les vibrations, les sensations, les... indécis, déments.

Elle était trop calme, trop immobile... trop attentive, elle percevait... de toute façon, il serait impossible de lui interdire de poser une oreille contre son cœur pour entendre.

Elle resta longtemps silencieuse... et soudain, comme si... rien !

elle envahit le haut-parleur de sa bouche,

comme pour étouffer les cris du fond

comme pour se fondre dans les cris

comme pour lui crier “entre”...

Il plongea dans sa lave en souhaitant se perdre... se brûler... elle fondait... elle fondait... il fondit avec elle...

 

Les vélos, profitant de « l’absence » de leur maître déraillaient sournoisement.

 

ELLUI ne formaient plus qu’une forme. Soudure...

Elle se détacha doucement...

Il supposa que sa peau allait se détacher aussi... en lambeaux de chair brûlée, à vif !

Il eu très peur de n’être pas intact... elle aussi.

Elle revint et posa sur son ventre une main douce pour effacer les marques...

 

Personne ne verrait qu’ils ne faisaient qu’un, ces deux-là !

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Rédigé par William Radet

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... de l’influence de l’aspirine
sur les maux d’amour

 

            Il est plus facile de mourir d’amour que d’en guérir... et pourtant, après mure réflexion, monsieur Raymond choisit la seconde solution. Béni soit le souvenir du temps béni ! Louise lui laissait quelques meurtrissures cérébrales plutôt conséquentes et la rupture imprévue provoquait une souffrance morale difficilement traduisible.

            Que sait-on vraiment des maux d’amour, sinon qu’ils sont d’importants agents coagulants à tous les stades de la création !   

          « Abolition de la sensibilité à la douleur » : telle est la définition simple mais exacte de l’analgésie... Pour vaincre le mal, Monsieur Raymond rejeta d’emblée tous les manipulations psychologiques en vigueur, renia quelque ersatz d’amitié, fit une croix sur les opiacés, mais fixa toute son attention sur l’aspirine - analgésiant planétaire - jusqu’à organiser sa vie entièrement autour de ce produit. Chaque jour, la prise d’un cachet contre la souffrance ferait remonter le souvenir de Louise... elle serait toujours là, pétillante.

            Il prit alors la décision de construire un temple anti-douleur. Rien ne viendrait troubler son recueillement : petite pièce sans fenêtre laquée de blanc au sol carrelé, paillasse cubique et centrale de grés pâle, chaise design claire, étagères de verre sablé. Il s’occupait si peu du reste de la maison qu’il ne remarqua même pas la petite culotte en pur coton de Louise, oubliée sur un fil, immaculée, vierge peut-être.

            Il lui faudrait un bon millier de boîtes d’aspirine pour réaliser son projet. A tous les pharmaciens, il avançait invariablement : « C’est pour faire un œuvre, je veux dire... une sculpture ».

           Commença alors un long travail d’artiste... Sur l’étagère la plus accessible il édifia par empilage de cachets de 4 mm d’épaisseur et 18 mm de diamètre une sorte de graphique en volume représentant ses divers placements en bourse au cours du jour. Sur une autre, il érigea avec minutie (s’aidant d’une carte postale) le profil déchiqueté d’un château du pays Cathare.

            Et aussi... une vue de face de Manathan, la Grande Muraille de Chine, la Très Grande Bibliothèque... par exemple. Les petits cachets, légèrement bombés, à l’équilibre douteux, furent juxtaposés avec grâce, comme des pétales de fleurs ou des fractales. A l’aube du troisième jour, plein d’une joie immense devant son bel ouvrage, il se laissa aller à remercier Louise d’avoir été la muse, provocatrice inconsciente d’un chef-d’œuvre rare, voire unique. Durant deux jours et deux nuits, il avait créé avec passion, mangeant peu, buvant seulement de l’eau, additionnée d’aspirine évidemment. Il découvrit alors un autre sujet d’extase : l’effervescence... admirables bulles d’aspirine, plus vives que le champagne, plus folles que la limonade... chant radieux de l’effervescence... ressac caressant du liquide qui s’éclate en postillonnant... rosée blanche et vierge qui vient vivre et mourir en chantant. Ce chant, c’était pour Louise.

            A 12h33, comme un rituel, au risque de chambouler l’harmonie de ses constructions, Monsieur Raymond absorbait deux comprimés choisis au hasard. Le souvenir de son immense amour était alors réactivé. « Louise est dans ma tête, elle se cache... » Elle se cachait si bien qu’il eut de plus en plus de mal à la rencontrer en lui... elle s’estompait. Il se mit alors à boire... toujours pour chasser la douleur. Selon les encyclopédistes, un analgésique efficace peut être également obtenu par la macération d’écorce de saule blanc dans un vin blanc tonique. Chaque jour, à 12h33, il s’offrit donc une rasade de cette décoction... et retrouva peu à peu son euphorie d’antan. Louise disparaissait de sa mémoire ; il s’étonnait d’en être heureux. Pour accélérer le processus et chasser la migraine provoquée par la première prise, il augmenta la dose et la fréquence des prises. Enfin, en amoureux du goût et de l’efficacité, il gomma définitivement la présence de l’écorce de saule dans son merveilleux petit coup de blanc. Rêvassant après boire, gagné le plus souvent par un sommeil nirvanesque, il ronflait et les étagères vibraient doucement...

            Jusqu’au jour où Louise réapparut, pendant un petit sommeil de l’après-midi. Elle pénétra, aussi anxieuse qu’énervée, dans ce qui avait été leur nid d’amour, décrocha d’abord sa petite culotte blanche et partit à la recherche des diverses et chères babioles oubliées à son impromptu départ.

            C’est aussi muette qu’abasourdie qu’elle découvrit la petite pièce carrelée ou son ex gisait, visiblement ivre, affalé sur la paillasse. Prenant bien soin de ne pas le réveiller, Louise fit un tour silencieux et expectatif en hochant la tête... qui lui faisait mal maintenant. L’incompréhension. L’incrédulité. La folie. La beauté même... Un étau dans son crâne. Elle quitta un instant le lieu du délire, revint de la cuisine avec un verre à demi plein d’eau, saisit au hasard un comprimé d’aspirine sur une des étagères et l’immergea, pressée qu’elle était d’en finir avec cette douleur qui cognait en elle, avant d’aller réveiller ce gros con de Raymond qui ronflait. Mais sa main ne toucha jamais l’épaule du coupable. Louise mourut instantanément. Foudroyée. Entraînant dans sa chute la reproduction en pâles piles des cours de la bourse. Le fracas ne réveilla même pas Monsieur Raymond.

 

            Au tribunal, la mort de Louise pose aujourd’hui problème.
A Monsieur Raymond, tout d’abord, puisque l’incrédulité s’affiche dans l’auditoire lorsqu’il affirme avoir introduit un poison mortel dans un des comprimés qui furent mélangés au départ, avant même de devenir sculptures... dans le but simple de mourir lui-même par hasard et par amour... Aux juges, ensuite, qui ne comprennent pas pourquoi et comment Louise aurait de son plein gré absorbé un comprimé d’aspirine alors qu’elle tenait encore sa culotte à la main... et qui restent figés, dans l’incapacité fondamentale d’appréhender la forme ô combien troublante d’un tel amour qui n’est répertorié dans aucune annale et qui n’a jamais fait l’objet d’une émission télévisée.
 
Nouvelle publiée, extraite d'un recueil intitulé "Aspirine"
regroupant plusieurs auteurs dont quelques célébrités
 
 

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 Folles encres mortes  

           
               «Nos écrivains étaient comme mille lumières 
                                            dans l’ombre croissante de ce siècle»

            Monsieur Penink sursauta lorsque cette phrase vint mourir près de lui... Après un long silence, un communiqué laconique annonça d’une voix blanche que le vieil homme qui venait de proférer ces paroles s’était éteint illico, en direct sur la seule radio culturelle du pays qui recevait, avant de s’éteindre à son tour et pour son ultime émission, le non moins ultime survivant d’une pratique aujourd’hui disparue qui consistait à aligner des signes noirs sur de la cellulose. Ces signes (vingt-six en tout pour nos contrées, disposés entre eux de mille modes et cent façons qu’on appelait style dans les cas extrêmes où l’assemblage s’avérait singulier ou réputé tel, selon des critères assez vaguement définis par des experts bien encrés dans le système), avaient pour but essentiel et parfois louable de provoquer des images nouvelles dans les cervelles rongées par le quotidien.

            Et le peuple apprit à déchiffrer ces signes.
Et le peuple y trouva des images... et même des idées ! Et quelques-uns surent aussi lire entre les lignes ?!

La pléthore de nouveaux écrivains (Certains disaient même qu’il y avait plus de prétendants au statut d’auteur que de noms gravés sur les monuments aux morts et qu’aussi parfois, c’étaient les mêmes) ayant engendré des courants stylistiques aussi variés qu’insolites (Proustiens, Durassiens, Saint-Simoniens ou Simenoniens pour faire simple). Fichu problème pour les gouvernants : comment contrôler les images provoquées par des milliers de textes disparates dans des millions de cervelles différentes ?

Ces alignements de signes voulaient-ils vraiment dire ce qu’ils disaient ? N’induisaient-ils pas des interprétations inconnaissables ? Le peuple savait certes reconnaître les signes et le nombre croissant de ceux qui réussissaient à décripter un quelconque sens avait même l’air d’en jouir (on décelait sur leur visage en pleine lecture une  bien curieuse sérénité), mais comment mesurer l’influence réelle sur chacun, puisque la majorité n’avait point encore acquis l’art de restituer, de formuler son ressenti.

            Le danger était là, invisible et latent !
Les psys d’état qui jouaient beaucoup au jeu des hypothèses avec d’incertains futurologues étaient formels :

 « Gare à la cristallisation ! »
« Quelle cristallisation ? demandèrent les gouvernants.
«  On ne sait pas, tout ce qu’on sait, c’est que ça peut arriver n’importe quand. »
«  Mais qu’est-ce qui peut arriver, dites-nous ! »

            Un jeune homme qui avait réponse à tout (dans la limite, bien sûr, de ce qu’il avait appris pour faire partie de ceux qui dirigent) parla alors, sans retirer sa cravate à rayures, et sur le mode binaire si hermétique aux gens du peuple.

            Il y a deux termes à l’alternative :

Scénario 1, la cristallisation : par une totale coïncidence, tous ces signes apparemment disparates sur le papier, tant par leurs volumes que par leurs formes, provoquent des images quasiment similaires ; puis une prise de conscience collective, commune et massive, très difficilement maîtrisable.

Scénario 2, l’éclatement : par l’absence totale de coïncidences, situation rare mais également possible, chaque lecteur interprète à sa façon, comprend sa différence, cultive un individualisme de plus en plus forcené, jusqu’à quitter le système pour devenir incontrôlable.  

Il fallait donc décider d’une stratégie de contrôle efficace des flux et des reflux de pensées, absolument indispensables à la bonne gestion d’un pays moderne.

            Monsieur Penink se souvient...
On a tout d’abord lancé une campagne d’information habile et sournoise dont la cible, consommateurs de signes noirs, lecteur ou électeur, comme vous voulez, était invitée à se rapprocher de la nature et à prendre conscience de la déforestation accélérée due à une littérature surabondante. Les éditeurs rares et encore de ce monde, se souviennent-ils de cette fameuse et très lourde taxe pour le reboisement qui contribua, pour une part certaine à leur extinction ?
Monsieur Penink se souvient aussi de n’avoir pas eu réellement conscience de tout cela. Un retour à la communication épistolaire, saine tentative de réaction, mourut bien vite, car, non seulement le prix du timbre-poste augmenta par hasard prodigieusement, mais les écrivains ne savent guère se contenter d’un lectorat restreint.

            C’est avec une redoutable exactitude que des manipulateurs experts définirent la qualité des réactions diverses et plausibles engendrées par le manque de signes et mirent en place, pour en finir totalement, une mécanique machiavélique, sorte d’ersatz lumineux et fascinant baptisé “bénévision“. A chaque famille fut attribué un écran à cristaux liquides donnant accès à moindre frais à quelques dizaines de réseaux diffusant des images toutes faites, soigneusement sélectionnées et porteuses de “bonheur“. Ce bonheur, analysé avec soin, échut aux mains de Fourierristes patentés qui surent répertorier et classifier les vices et tendances de chacun jusqu’à ériger les socio-styles en phalanstères thématiques. Depuis ce jour, mille deux cent vingt quatre “chaînes“ (Le mot définit bien la relation exacte entre le bénéspectateur et l’écran programmé.) diffusent sur ces écrans des programmes d’images parlantes. Ce découpage permet à ceux qui... voyez ceux que je veux dire, d‘opérer un comptage et repérage des aspirations diverses et d’en tirer les conclusions démagogiques les plus efficaces.
Passons sur le fait anodin que certains bénéspectateurs réclamèrent des écrans de plus en plus étendus qui occupèrent la surface du grand mur du salon et prirent la place tant enviée des tableaux ou reproductions de chasses habilement tissées au point de croix.

            Ces milliers d’heures d’images nécessitaient pourtant des scénaristes. Afin de mieux éliminer les écrivains velléitaires, on rétribua à prix d’or ceux qui devinrent les fournisseurs de la bénévision jusqu’à provoquer le tarissement des multiples sources d’idées sur tout autre support. Le marché était là et nulle part ailleurs. Les agents littéraires ne recherchaient plus que des “histoires“ pour des feuilletons et le peuple applaudissait à ces images toutes faites qui leur disaient ce qu’il voulait entendre. S’institua alors une sorte de culture in vitro... avec toute une cohorte de critiques vedettes,  distributeurs de satisfecit.

Pourquoi lire pour fabriquer des images puisque les images viennent à vous.
Les gens ne quittaient leurs écrans que pour aller dans les forêts... 
Le livre était mort.

   «Nos écrivains étaient comme mille lumières 
                                          dans l’ombre croissante de ce siècle»

            Monsieur Penink eut soudain la conscience aigüe et douloureuse de ce qui se passait là. Sa prétention naturelle lui fit penser qu’il était le seul à saisir tous les dangers, à mesurer toute la détresse future engendrée par ce nouvel art à la pénétration fulgurante. Il sentit alors en lui monter un sentiment jusqu’alors inconnu, une de ces vieilles choses qui, parait-il, étaient plus famillières à ceux d’autrefois : le désir irrépressible de révolte. Résister !

Ce mot avait disparu du vocabulaire commun, gommé, limé, éliminé, depuis longtemps remplacé par un « concensus » constamment recherché et toujours trouvé, tant étaient mortes les idées folles, faute de pouvoir les lire ou les entendre. Ce fut pour lui comme un appel. Il trouvait là une raison forte, un moyen idéal pour se singulariser et enfin paraître. Foin de modestie, qu’avait-il à faire de mieux qu’écrire un livre, le livre ! Celui que personne n’attendait plus. Il voyait déjà la première phrase :

            « La planète est surchargée de têtes qui vivent comme des bêtes...»

 ...parce qu’il n’était pas simple, Monsieur Penink...

        Il fit recouvrir de liège les murs de sa chambre car il se souvenait qu’un moustachu au regard oriental l’avait fait avant lui avec succès au début du siècle et s’isola souvent et longtemps. Il concocta avec  ardeur et méticulosité un pavé de signes de mille huit cent vingt sept pages qui furent imprimées en garamond romain, de 10 points didot, interligné 11, avec alinéas, symboles, notes, sous-notes, astérisques, figures, exposants, hors-textes, faux titre, grand titre, colophon, grébiche, cul de lampe, avertissement, postface, appendices, index et  bibliographie, le tout en trois tomes, sur un vélin bouffant de bonne tenue.
On notera que Guillaume, grand-père de Monsieur Penink, avait exercé le noble métier de typographe dans la bonne ville de Troyes, là où précisément un célèbre Chrétien fut l’inventeur du premier roman occidental. Puisque ce hasard facétieux l’avait élu, il exécuterait le dernier.

            Notre écrivain rebelle avait la sensation d’être un fabuleux alchimiste qui brassait les métaphores, les aphorismes, les rimes, les sonnets, les alexandrins, les pléonasmes, les palimpsestes, les palindromes, les allégories, les acronymes, les analogies, anapestes, anacoluthes, oxymorons, anathèmes, anacréontismes, anecdotes, analyses, anamnèses, odes et odelettes, zeugmas, hapax, syllogismes, didascalies, dialogues, injonctions, conjonctions, digressions, fables et satires, pamphlets, plaidoyers, parodies, énumérations, répétitions  répétitions, locutions, citations, proverbes et adverbes, compléments d’objets parfois trop directs ou refusant obstinément de s’accorder, dialogues, acrostiches, césures... les interrogations, les exclamations, et même de la prose avec virgules, points-virgules, lapsus et suspension... etc.  c’est pour dire... 

            Peut-être même qu’il inventa des mots jamais lus. Allez savoir.                                  (A ce moment, nous percevons clairement votre envie irrépressible de découvrir illico cet ouvrage. Malheureusement le prix français actuel du linéaire littéraire nous contraint à surseoir à mettre en œuvre une réédition qui pourrait combler votre désir ô combien fondé.)

            Ce fut un fleuve de signes en crue qui déborda sur le papier, diarrhée de phrases enfin libérées après une trop longue constipation cérébrale. Rien ne put l’arrêter tant était forte sa conviction d’être le rédempteur de la langue écrite, le pourfendeur de l’image creuse et imposée (heureusement, sa femme était morte...).

            Après s’être séparé de quelques biens chers et inutiles, il passa de la rédaction à l’auto-édition puis à l’auto-promotion de son ouvrage. Tout fut  étrangement et étonnamment facile. L’idée lui vint de faire parvenir une offre de souscription à tous ceux qui portaient son nom. Comme “Penink“ était largement répandu (si l’on excepte la Basse-Creuse et le Haut-Niger). Le livre bénéficia d’une diffusion large et dispersée...

... coïncidence, parmi ces homonymes figurait un critique littéraire...

 “FOLLES ENCRES MORTES“
C’était le titre de son œuvre. Curieux. Ces trois mots contiennent déjà l’inconnaissable, insaisissable... sable. Que sait-on vraiment de la folie, des encres ? Et la mort, hein ?
D’ailleurs tout ici dépassait l’entendement. Les idées fourmillaient, portées par une forme peu commune, une musique contemporaine qui surprit même l’auteur.

Page 924 : “Elle s’ouvrit jusqu’au mystère“.
Page 88 : “Le silence a peur des la bonne parole et des  mauvaises langues“

Page 50, dernier paragraphe : “Absolu ment “

Page 700 : “Les arbres sont pleins de bigoudis et mon génie frise la folie…“

                                                                       etc. etc. etc.
 

            Les vraies pensées sont intraduisibles n’est-ce pas... bien plus fortes qu’on ne le pense et ce qui advint était en effet impensable.

            Pendant la période du repos annuel des masses productives, les médias, quelque peu vacants, laissèrent par négligence un espace de libre parole. L’homonyme critique professionnel s’engoufra avec opportunité dans cet espace pour dire quelque chose. Il venait de lire, en travers, “Folles encres mortes“, le collossal roman de Monsieur Penink et décida d’en parler. Il en parla très bien, drôlement bien même à la  « bénévision ». Il en parla longtemps, avec d’autant plus de chaleur qu’il n’avait rien compris ou presque, suivi en cela par les autres critiques qui ne voulant pas être en reste. s’emparèrent aussi de l’ouvrage. Le livre s’arracha, provoquant certainement quelque secrète déchirure.

            Monsieur Penink, tout fier qu’il fut, éprouvait une petite gêne tout au fond de lui. Il avait le sentiment que personne, absolument personne ne comprenait ce qu’il avait écrit; mais le succès grisant écrasait tout en lui. Il finit par croire ce qu’il entendait. Les adjectifs les plus osés, les plus variés pour définir son génie agissaient comme un euphorisant et endormaient simultanément ses scrupules. Il répondait peu. Il souriait aux anges ce qui lui conférait un air énigmatique... et le peuple adore les énigmes vivantes...

            Il avait pourtant raison : il était totalement incompris. Son texte paralysait les intellectuels, les philosophes les plus pointus, intriguait les chercheurs, les analystes, les poètes qui pourtant en avaient vu d’autres... mais l’amour propre...

            Oui, chacun en cette période avait un amour propre plus que démesuré et personne n’avoua jamais n’y rien comprendre. Chacun vanta ce livre à son voisin, en parla avec une aisance confondante, souvent copiée sur celle des spécialistes du petit écran. Ne pas lire «Folles encres mortes», c’était faire injure à l’intelligence, c’était reconnaître qu’on était à la traîne face à l’œuvre immense de Monsieur Pennink.

            Mais au creux de chacun montait l’inquiétude, sourde, tenace. Et chacun de se dire en machouillant sa honte : « Suis-je vraiment plus con que les autres ? qu’est-ce qui ne va plus en moi qui fait que je n’arrive plus à saisir ce que tous comprennent; même mon idiot de voisin... ? »

            Le snobisme qui avait gagné toutes les couches de la population poussait au silence, réduisait au mutisme bourgeois. L’angoisse se propagea à la même vitesse (mais en sens inverse) que la grippe asiatique. L’occident toujours, et d’abord !

            C’est à Limoges, haut lieu dépressionnaire, qu’un 19 juin, le premier patient pénétra dans le cabinet d’un psy pour avouer son complexe du moment « Je ne comprends rien à ce livre que tout le monde salue comme un chef-d’œuvre de clarté et d’intelligence. Docteur, je doute de moi... je doute de tout »

            Et l’épidémie gagna. La vague de doute enfla, déferlement à la fois massif et sournois, impossible à maîtriser puisqu’informulé clairement. L’amour propre salissait tous les esprits, provoquant des ravages imprévisibles. Et Monsieur Penink paradait maintenant à la bénévision; il était invité partout pour parler de son ouvrage. Les animateurs  qui s’extasiaient pendant l’émission rentraient chez eux avec un sourire défait, moralement exténués d’avoir affiché si fort leur fausse intelligence, désorientés, perplexes, mais trop fiers pour dire... quoi dire ? que ce texte extraordinaire n’avait pas atteint leur cerveau gauche? le droit non plus? On vit apparaître des peintures grises, des musiques sombres, et même des tags qui osaient salir la propriété privée de l’expression d’un immense malaise.

            Dérèglement local, départemental, régional, national, international ! On avait depuis trop longtemps interdit ou bafoué les simples et les imbéciles. Chacun, devant un navrant constat de carence intellectuelle était gagné du « malaise des marginaux » résurgence terrible d’une maladie disparue avec l’extraordinaire réussite des programmes uniformisés au nom de la justice et de l’égalité.

            Les psylosophes, par hasard, s’expatrièrent sur la lune pour étudier l’apparent silence des pierres. Gonflèrent bientôt les listes d’attente pour des consultations allant du psy au neuro, au marabout branché, à la chiro-carto... et fut lancé un vaste programme de construction d’asiles, puisque les parcs d’attractions réquisitionnés à cet effet étaient saturés... 
Et les rues et les villes se vidèrent, sur toute la terre... L’homme disparut peu à peu de la surface visible, enfermé dans sa question.

Ne restèrent plus que neuf cent vingt quatre autistes abandonnés, riant comme des fous parce que sur la bénévison revenait en boucle, et pour longtemps encore, le visage à la fois grave et inspiré de Monsieur Penink commentant pour la quatre mille trois cent vingt septième fois les trois premières lignes du quatrième chapitre de  « FOLLES ENCRES MORTES »

La littérature avait enfin ses lettres de noblesse... solitaire.
Il n’y a pas d’heure pour les graves ! 

Nouvelle publiée extraite d'un recueil intitulé "L'air du temps"
regroupant plusieurs auteurs dont quelques célébrités

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Rédigé par William Radet

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