4. TEXTICULES 3 ... Six fabulettes

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L’enfance,

c’est pas du nougat

 

J’ai un canif dans ma poche !

et si jamais tu t’approches,

j’te pique !

 

T’as un élastique ?

Non, non… pas d’élastique

J’aime pas

l’élastique, j’aime pas

ça cingle !

 

Mais il est cinglé

il est fou

il est dingue

gelé

fin saoul

frapadingue !

 

Un pauv’ caoutchouc

contre un canif

mais mon pauv’ chou

tu n’es qu’une chiffe !

 

Toi, si tu t’approches

j’te fais une poche

dans l’estomac !

 

T’as du nougat ?

Excuse-moi

Je voulais pas…

Mon canif contre ton nougat !

 

Harg ! Raaa…

 

Regarde ton estomac

et digère ton canif et mon nougat !

 

 

La morsure

la mort sûre

 

Curieuse, cette envie…

cette envie furieuse qu’elle a de mordre.

 

Envie de femme étreinte,

envie de femme-empreinte…

Empreintes de dents… empreintes dedans...

Sa marque !

Intégration, possession par absorption, succion.

Peur !!? d’une disparition, d’une déglutition.

 

Il pénètre mais il ressort toujours...

Le garder, le garder au chaud, au fond pour soi seule...                                           et le caresser, doux... doux... comme soie seule.

 

Conserver son odeur, son goût...

il est à l’amante ; il est à la mante

et, religieuse, l’adorer du plus profond de son culte...

 

Mais il ressort toujours... mais il s’enfuit toujours...

Elle se sent comme ta mère… Elle est amère.

 

 

 

Enfin le désert

 

Enfin. Je vis aux portes d’un désert...

Il n’y a que les dunes qui frémissent.

Il n’y a que les dunes qui se déplacent, sournoisement.

 

Les nuages ont déserté la grande toile bleue où l’on a peint un soleil inexorable.

 

Mes yeux fixent un carré de grains jaunes.

Un insecte, parfois, provoque des éboulements monstrueux et infinitésimaux.

Tant d’énergie...

 

Le bonheur absolu, invisible, indicible et silencieux,

rôde peut-être de l’autre côté des dunes...

mais le vent qui revient d’un long voyage

rapporte souvent les cris des hommes

qui se battent pour du sable...

 

 

Si tous les gars du monde…

 

Trois travelos du petit matin

s’en vont main dans la main

sur le boulevard Saint-Germain

 

Dans la lumière blafarde

se traitent de tocardes

et regardent pousser leur barbe

 

Dans sa robe violette

il s’appelle Ginette

boléro de dentelle

s’appelle-t-elle Estelle ?

 

La troisième en salopette

avec bretelles et paillettes

salopette de débardeur

sûr qu’il va décharger des fleurs

 

Quand sonnent les matines

à l’angle de la rue dauphine

ils font signe à trois copines

 

Six travelos du petit matin

se baisent doucement la main

et font les folles pour des riens

 

« Bon sang qu’elle est coquette

avec ses jeans sans braguette ! »

« Mais si, mais si, elle est derrière

j’peux la fermer en un éclair »

 

Et ça papote et ça parlotte

mes petits lapins en gibelotte

et les robes et les brillants, ça rutile

mon dieu mon dieu, qu’elles sont futiles !

 

Calmement je les suis

mais dans la rue de l’Ancienne-Comédie

ils se retournent, prises de folie

 

Six travelots du petit matin

se serrent très fort c’est certain

et poussent un cri inhumain

 

« Ciel, c'est elle ! »

 

Rue de Richelieu

 

Je suis un p’tit moineaux frileux

j’habite la rue de richelieu

et je vole comme je peux

chaque matin vers un p’tit vieux

qui m’donne du pain

pour assouvir ma faim

 

Je suis un pauvre petit vieux

j’habite loin en banlieue

et je cours comme je peux

chaque matin rue de Richelieu

là-bas je gagne mon pain

pour assouvir ma faim

 

J’suis un concierge valeureux

j’habite 27bis rue de Richelieu

chaque matin je guette un gueux

qui nourrit des moineaux miteux

dans mon café j’trempe jamais d’pain

j’suis au régime jusqu’à la fin

 

Par un jour pluvieux

le petit vieux trop vieux

resta dans sa banlieue

 

Le p’tit moineau frileux

quitta la rue de Richelieu

pour le rejoindre dans sa banlieue

 

Et le concierge mourut de jalousie

 

 

 

 

 

Les yeux de Valérie 

 

            J’ai vu les yeux de Valérie avant son départ pour l’Algérie, les tripes au ras des yeux, les yeux déjà au ras du désert… les yeux au ras de la lumière... celle qui vous envahit... qui vous plombe... qui vous envahit... qui...

            J’ai vu la main de Valérie à son retour d’Algérie, qui tremblait en tendant une image bleue... indicible bleu que des éclats de soleil avait déchiré, invincible bleu… bleu d’une sorte d’ombre... l’ombre que laisse un rêve éveillé venu en pleine lumière, à l’heure où les cailloux ont les joues creuses...

            A l’heure où les volets se ferment, où les fentes de ses yeux avaient perçu un je-ne-sais-quoi de plus... d’ailleurs... de plus habité dans la solitude.

          Les cadavres rougissaient sur le papier. Les mots déjà étranglés depuis longtemps dans les gorges mortes de désespoir ne cherchaient plus le chemin de l’évasion.

            Elles savaient ces gorges ouvertes sur le ciel et la mort , qui avaient rit dans les oliviers, que la planète avait les oreilles coupées, que le reste du monde regarderait bientôt les restes de l’Algérie pourrir, pour rire, sur des écrans surréalistes.

            Les mouches à la bouche contemplées par des hyènes qui ne connaissent du désert que l’esthétique glacée du papier, qui ne connaissent de l’Algérie que le regret des colonies, aux temps heureux ou les gorges chantaient… car les esclaves, monsieur, connaissent la chanson et les bourreaux connaissent la musique ! Le chant de la mort sera rentable ou ne sera pas !

Rédigé par William Radet

Publié dans #TEXTICULES

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